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d’Asie-Mineure ; or, malgré la belle restauration du temple de Priène, exposée l’an dernier à l’École des Beaux-Arts par M. Thomas, les dispositions intérieures du temple ionique nous sont jusqu’ici beaucoup moins connues que celles du temple dorique. Un seul regard jeté sur ces marbres suffit pour constater des faits nouveaux et curieux. Dans la description rapide qu’il donne du temple d’Éphèse, Pline l’Ancien se sert d’une expression qui avait embarrassé tous les commentateurs et les avait provoqués à des corrections plus ou moins ingénieuses. « Des 126 colonnes que contenait l’édifice, 36, dit-il, étaient sculptées, une par Scopas (Ex iis XXXVI cœlatœ, una a Scopa). » Personne n’avait jamais voulu admettre ces colonnes sculptées ; on n’avait rien vu de pareil nulle part. Or le musée possède aujourd’hui plusieurs tambours provenant d’Éphèse autour desquels s’arrondit un bas-relief qui faisait le tour du fût. L’un d’eux est assez bien conservé pour qu’on en puisse juger le style et l’effet. Il représente Hermès et un génie ailé, l’un et l’autre nus, que séparent deux femmes drapées dont les têtes manquent. Nous n’avons pas à chercher le sens de ce groupe, qui paraît se rapporter à ces jeux et à ces luttes de la palestre dont Hermès était le patron[1] ; mais on ne saurait trop insister sur l’heureux balancement des figures, sur la largeur et la fermeté du dessin, soit dans la draperie, soit dans le nu, sur la merveilleuse habileté avec laquelle l’artiste, sans choquer ni même surprendre l’œil, a su projeter ses figures sur une surface convexe et en racheter la courbure. Que ces reliefs proviennent du second temple, brûlé par Érostrate en 356, ou du troisième dont la construction fut commencée aussitôt après le désastre, ils sont certainement très postérieurs à ceux du Parthénon et sensiblement contemporains de ceux du mausolée ; or ils l’emportent de beaucoup sur ceux-ci, la touche en est plus libre et plus fière. Comme type de sculpture décorative et monumentale, l’Hermès d’Éphèse et tout le groupe dont il fait partie me paraissent devoir prendre rang à la suite des marbres du Parthénon et non loin d’eux. Les autres fragmens, ainsi que ceux d’une frise dont la place est assez difficile à déterminer, sont bien plus mutilés, mais semblent d’un style aussi pur.

L’intérêt de ces sculptures n’est pas seulement dans leur beauté propre ; elles méritent encore l’attention par les vues qu’elles nous ouvrent sur l’histoire et le développement de l’art hellénique. Il n’y a point, on le sait aujourd’hui, deux temples grecs qui soient

  1. On peut consulter à ce sujet un article du savant archéologue de Berlin, M. Ernest Curtius, dans l’Archœologische Zeitung, 1872, p. 72. — Les planches 65 et 66 contiennent une excellente reproduction lithographique du bas-relief d’Éphèse d’après des photographies. Dans la figure ailée, M. Curtius reconnaît Agôn, le génie des combats gymniques.