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de l’art, et le portrait, quand il est traité avec cette fermeté et cette ampleur, est un des triomphes du génie plastique. Où l’on sent mieux l’infériorité des sculpteurs du mausolée, c’est dans le fragment de l’un des chevaux du grand quadrige. Combien cela est moins libre et moins vivant que ces deux merveilleuses têtes des chevaux d’Hélios qui, dans l’angle d’un des frontons de Phidias, semblent aspirer de leurs naseaux frémissans l’air frais du matin ! Même observation pour le combat des Amazones représenté à Phigalie comme sur la frise du mausolée. Les bas-reliefs de Phigalie ont bien des défauts qui sautent aux yeux en face de l’original ; je ne soupçonnais pas avant de l’avoir vu combien ici l’exécution est négligée, presque grossière dans certaines parties. Il y a des figures épaisses et courtes où le modelé est d’une incroyable lourdeur. En revanche, dans la composition des groupes, que d’invention et de variété, que de mouvement et de chaleur ! Un maître a dessiné cette frise, mais l’exécution en a été confiée à des ouvriers maladroits. Dans d’aussi grands travaux, la valeur du résultat obtenu dépend beaucoup de l’habileté professionnelle de ces humbles collaborateurs. Un des mérites que les connaisseurs admirent le plus à l’acropole d’Athènes, qu’il s’agisse de la sculpture ou de l’appareil des bâtimens, c’est la perfection de l’exécution, l’extrême adresse manuelle et l’attention minutieuse qu’elle suppose chez tous les ouvriers employés à ces ouvrages. Là même pourtant il y a encore de curieuses inégalités. Le savant adjoint de M. Newton, M. Murray, me faisait remarquer sur les marbres de la procession des Panathénées des différences très sensibles dans la justesse et l’accent du modelé. La frise du mausolée a été exécutée avec beaucoup plus de soin que celle de Phigalie ; mais comme la composition en est moins variée et moins nourrie ! Les mêmes personnages, les mêmes mouvemens, se répètent à satiété ; malgré des attitudes violentes, le tout a quelque chose d’académique et d’un peu froid. On sent naître ici ce style savant et sec que fera prévaloir au siècle suivant l’école de Pergame ; nous en possédons au Louvre un des chefs-d’œuvre, le Gladiateur combattant, comme on l’appelle. Quant aux lions, ils ont de l’effet, surtout vus de profil, mais ils sont bien inégaux de facture. La forme en est toute conventionnelle, et la convention adoptée ici n’a pas la rude énergie de celle que l’école archaïque avait empruntée à l’Assyrie. Je préfère de beaucoup les têtes, de lion qui servaient de chéneaux à la corniche ; elles sont modelées avec plus de hardiesse et de largeur.

En somme, la sculpture du mausolée est intéressante et remarquable à divers titres. Elle a d’abord le mérite de nous apprendre ce qu’était devenue la sculpture attique environ quatre-vingts ans après la mort de Phidias, ce que demandait aux artistes de cette