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répandre « la science » dans les campagnes, il leur compte une dot de 100 thalers, afin qu’elles puissent épouser de « bons gars. » L’actif et laborieux personnage ne se perd pourtant point dans l’infiniment petit : il s’est rendu un compte très exact des besoins de ses états, il a mis à l’étude les meilleurs moyens d’y satisfaire, et, la décision prise, il y a conformé toute sa vie.

Comme le grand-électeur, il voit que le remède à la misère de ses états est la colonisation ; mais il ne veut pas prendre de colons de toutes mains : il exige de ceux qu’il accueille parmi ses sujets le travail et l’obéissance. C’est lui quia trouvé la devise de la monarchie prussienne, nicht raisonniren, c’est-à-dire ici l’on ne raisonne pas. Or les mennonites raisonnaient beaucoup trop suivant lui, et ces chercheurs d’idéal n’étaient pas son fait. On sait le goût que le « roi sergent, » comme on l’a surnommé, avait pour les soldats géans, qu’il appelait « mes chers longs gars ; » aucune puissance au monde n’était capable de protéger contre ses effrontés recruteurs les malheureux auxquels la nature avait donné une belle taille. Ces agens arrêtèrent un jour en Italie un prédicateur descendant de la chaire ; ils exerçaient leur industrie sur les grands chemins, où ils enlevèrent une fois un ambassadeur de l’empire : comment s’en seraient-ils laissé imposer par les scrupules religieux des mennonites ? Sans doute ils étaient disposés à respecter les idées des hommes de taille médiocre, mais toute liberté de conscience cessait à leurs yeux au-dessus de six pieds. Mis sur la piste d’une famille de géans qui faisait partie d’une communauté de mennonites, ils pénétrèrent de nuit dans les maisons qu’elle habitait, y commirent des brutalités et emmenèrent six beaux hommes à Potsdam ; là on mit dans le rang ces pauvres philosophes et on leur commanda l’exercice, un seul obéit, mais les cinq autres résistèrent si longtemps et si bien ou il fallut à la fin les laisser partir. Blessé dans sa plus chère affection, offensé aussi par le ton des réclamations qu’il reçut, le roi ordonna aux mennonites de sortir du royaume pour faire place « à d’autres bons chrétiens, qui ne tiendraient pas pour défendu le service militaire. » Dans la suite, il se départit un peu de cette sévérité quand on lui eut écrit de Kœnigsberg que la caisse des impôts souffrirait du départ des mennonites. Il ne pouvait pas être insensible à cette sorte d’argument, lui qui disait de lui-même qu’il était le ministre des finances et le ministre de la guerre du roi de Prusse. Le ministre des finances fit entendre raison au ministre de la guerre ; mais au fond Frédéric-Guillaume ne pardonna jamais à ces chrétiens, oui ne voulaient point entrer dans sa garde.

Il exigeait que les colons s’établissent au lieu qu’il indiquerait, sans esprit de retour. Un départ était à ses yeux une désertion. Des paysans de la frontière lithuanienne ayant passé en Pologne à