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dispenserait volontiers de cette exigence ; mais « les temps sont si durs ! » D’ailleurs on aura grand soin de leurs familles ; le roi garantit aux enfans l’apprentissage gratuit, et même, s’il se trouve parmi eux quelques ingénia, il leur promet le bienfait de la table commune au collège de Joachimsthal à Berlin, et plus tard une bourse à l’université de Francfort.

Ces promesses attirèrent bon nombre de Suisses dans les états de Frédéric, où l’on trouvait toujours de la place et de la besogne. C’est vers l’est, dans le duché de Prusse et la Lithuanie, que le roi dirigea les nouveaux colons. Ici encore que de désastres à réparer, plus lamentables que ceux dont nous avons vu le tableau ! Dans la guerre qui éclata, vers la fin du XVIIe siècle, entre la Pologne d’une part, la Suède et le Brandebourg de l’autre, les Polonais avaient demandé des secours aux Tartares, qui envahirent, au nombre de 50,000, les provinces prussiennes. En moins d’une année, Tartares et Polonais brûlèrent 13 villes et 249 bourgs et villages. Ils étranglèrent 23,000 hommes et en emmenèrent 34,000 en captivité. Plus terrible encore fut la peste qui vint après la guerre : Kœnigsberg perdit en huit mois 10,000 habitans, le district d’Insterburg 66,000. En tout, il y eut plus de 200,000 victimes, si bien que la province prit l’aspect d’un désert. Il aurait fallu, pour combler tous ces vides, qu’il arrivât de Suisse de véritables armées d’immigrans. Or il n’en vint que 6,000 ou 7,000, parmi lesquels un certain nombre s’arrêtèrent en Brandebourg. Pour accroître ce nombre très insuffisant, Frédéric chercha en Suisse des colons d’une autre sorte.

Il y avait, dans les cantons de Berne et de Zurich, un certain nombre de disciples de Menno, ce singulier réformateur, contemporain de Luther, qui voulait que ses fidèles, non contens de pratiquer la pure doctrine religieuse, enseignassent au monde la perversité des lois politiques qui le régissaient, et le préparassent à s’en donner de meilleures. Ils ne devaient en aucun cas recourir à la violence ; les yeux fixés sur un état idéal où il n’y aurait plus ni mensonge, ni injustice, ni haine, ils n’opposaient aux abus qu’une résistance passive, refusant le serment, qui suppose le mensonge, et le service militaire, qui suppose la haine. Cette conduite n’était pas du goût des princes. Plusieurs s’adressèrent à Luther pour savoir de lui comment il fallait traiter ces novateurs : l’intolérant réformateur, alléguant saint Paul et l’Esprit-Saint, répondit qu’il ne fallait pas les souffrir. Dès le XVIe siècle, les mennonites furent persécutés en Suisse, mais il en demeura toujours. A la fin du XVIIe siècle, le gouvernement zurichois voulut forcer à s’armer ceux qui habitaient sur son territoire : ils refusèrent. Il voulut exiger qu’à défaut de serment ils répondissent au moins oui ou non aux questions qu’on