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plus grand roi de l’Europe eut plus de poids auprès du duc de Savoie que les représentations du lointain électeur de Brandebourg. Un édit atroce, lancé contre les Vaudois, fut suivi d’une guerre atroce où trois mille hommes furent massacrés et deux mille enfans enlevés à leurs familles. Dix mille prisonniers avaient été faits : tout ce que purent obtenir les puissances protestantes, ce furent l’élargissement et l’exil de ces malheureux, dont la moitié avait déjà succombé dans les horribles prisons où ils avaient été jetés, quand arrivèrent les troupes ducales chargées d’emmener les survivans hors du territoire. On les conduisit en Suisse : le grand-électeur y envoya des commissaires chargés de leur offrir un asile. Ils acceptèrent, et c’est Frédéric Ier qui les reçut en Brandebourg ; mais les Brandebourgeois ne furent point aussi hospitaliers que leur prince ; bien reçus à Spandau, les Vaudois le furent très mal à Stendal et à Burg. Aucuns préparatifs n’avaient été faits pour les recevoir. Il fallut les loger chez les habitans, qui les reléguèrent au grenier, et, par un hiver rigoureux, refusèrent l’approche du foyer même aux malades et aux femmes qui allaitaient leurs enfans. Un concert de lamentations arriva jusqu’à l’électeur, qui ne sut pas trouver de remède à ces misères. Il fut trop heureux, quand en 1690 le duc de Savoie, brouillé avec Louis XIV, eut amnistié les Vaudois, de ménager à ceux qu’il avait recueillis le retour vers leur patrie. Son bon cœur se montra dans le soin qu’il prit de veiller sur eux pendant la route. Il alla jusqu’à leur envoyer quelque argent dans leur propre pays, à la nouvelle qu’ils avaient trouvé leurs maisons en ruines et qu’ils étaient exposés à l’intempérie d’une rude saison. Il ne faut pourtant point exagérer sa générosité : elle ne lui coûta pas en cette circonstance plus de mille pistoles.

Il ne tint pas même à Frédéric Ier que les réfugiés français ne retournassent dans leur patrie. Quand s’ouvrirent les négociations pour la paix de Ryswick, ces exilés s’abandonnèrent à l’espérance de revoir la France, qu’ils n’avaient point oubliée. Ils intéressèrent à leur cause tous les princes de l’Europe, et Frédéric s’employa pour eux avec une persévérance dont il prévoyait sans doute toute l’inutilité. Son ambassadeur à Paris joignit ses efforts à ceux de l’ambassadeur anglais. Pendant le congrès, les représentans des états réformés firent en faveur des réfugiés une démarche collective. Un jour de prière fut célébré dans tous les pays protestans pour prier Dieu d’incliner à la miséricorde le cœur de Louis XIV. Louis répondit que ses anciens sujets ne pourraient rentrer en France qu’à la condition de faire solennellement profession de catholicisme. le sort en était jeté : les réfugiés ne se considérèrent plus comme campés sur la terre étrangère ; l’asile devint pour eux la patrie !