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érudits honorèrent le collège français et l’académie des sciences fondée en 1700 ; ils contribuèrent à la prospérité de l’université de Francfort, à la fondation de celle de Halle, et l’on pourrait donner une longue liste des noms français qui ont illustré la science allemande, comme La Motte-Fouqué, Michelet, de La Courbière, les Humboldt, car la mère de ces deux grands hommes était d’origine française.

Les gentilshommes réfugiés prirent place à la cour et dans l’armée. Plusieurs servirent comme généraux : un moment, le maréchal de Schomberg mit au service du grand-électeur son expérience consommée. Beaucoup de soldats roturiers entrèrent dans l’armée électorale, où ils remplirent presque cinq régimens. Les corps des grands mousquetaires et des grenadiers à cheval furent composés en grande partie de Français. Des ingénieurs français entrèrent dans la compagnie nouvellement instituée des sapeurs électoraux. Le plus triste, c’est que ces émigrés ne se firent pas scrupule d’éprouver leur valeur contre la patrie qui les avait rejetés : dans la guerre de la coalition d’Augsbourg se distinguèrent les régimens de Varennes et de Briquelmont, et l’on vit, dans les batailles et les sièges des bords du Rhin, resplendir au plus fort du danger l’uniforme écarlate brodé d’or des grands mousquetaires.

Il s’en faut que les écrivains allemands soient unanimes à reconnaître l’importance des services rendus à la Prusse par les réfugiés. Déjà, vers la fin du siècle dernier, König, dans son Essai d’une esquisse historique de Berlin, écrivait qu’au XVIIe siècle la Marche dut bien plus aux gens simples et pratiques venus de Hollande qu’aux réformés français, attendu que ceux-ci Il ont apporté avec les belles mœurs et les beaux usages » beaucoup de choses dont on pouvait fort bien se passer. « Il vaut mieux, dit-il, donner du pain aux gens que de leur apprendre la meilleure façon de l’orner ! » Sans doute, mais les réfugiés n’ont-ils pas donné le pain en même temps que la façon de l’orner ? Faut-il oublier tant de vaillans industriels et d’ingénieux agriculteurs pour ne plus regarder que les boulangers et les cuisiniers qui firent connaître en Brandebourg le pain blanc et la cuisine propre, ou les aubergistes qui ouvrirent à Berlin les premiers hôtels convenables qu’on y ait connus, comme l’Hôtel de Paris dans la rue des Frères ? Aussi bien cette mauvaise humeur contre les membres les plus humbles de la colonie française ne s’explique-t-elle pas, car les cuisiniers, hôteliers, tailleurs et coiffeurs français ne sont pas parvenus à corrompre la simplicité des mœurs germaniques : ils n’ont appris à leurs concitoyens adoptifs ni à s’habiller avec goût, ni à manger avec propreté. Heureusement pour l’honneur de l’Allemagne, les écrivains sérieux ne se laissent pas aller à ces méchantes querelles. M.