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Valéria. Tandis que, dans un bal masqué, sa beauté presque nue et des avances dignes de son infâme rivale lui assurent un honteux triomphe, le châtiment fond sur elle, terrible, écrasant. Son unique enfant est mort sans qu’elle ait pu l’embrasser. L’ambitieuse favorite disparaît dans ce désastre, il ne reste plus qu’une mère folle de douleur. Andor la reverra pressant de ses lèvres et inondant de ses larmes un marbre glacé dans le cimetière où lui-même cherche en vain sur la tombe de sa mère quelque inspiration fortifiante. Il a rompu par un effort suprême les chaînes qui l’avaient retenu captif trop longtemps, mais en y laissant les lambeaux de son cœur. Si la jeunesse, la beauté, l’énergie de Hanna se sont éteintes dans le remords et le désespoir, Andor n’a reconquis sa liberté qu’au prix de son bonheur ; il n’a plus ni foi ni espérance ; du moins a-t-il gardé l’honneur, l’amour de la vérité, une chaude sympathie pour l’humanité tout entière. C’est quelque chose au pays du mensonge et du faux patriotisme, où la simple probité est devenue en ces derniers temps une vertu rare.

Telle est l’esquisse de ce long roman. Pour ne le juger qu’au point de vue de l’art, il a de nombreux défauts, — l’absence d’unité dans le plan, la surabondance d’événemens qui n’ont entre eux aucun lien, la continuelle transformation de vérités triviales en caricatures parfois grossières, enfin l’incorrection du style, où l’abus du néologisme est particulièrement choquant. Dans plusieurs de ses premiers ouvrages, l’Amour platonique, la Vénus à la pelisse, la Messaline de Vienne, M. Sacher-Masoch avait oublié déjà les lois du tact, de l’ordre et de la mesure. La qualité portée à un si haut degré par Mérimée, qualité qui consiste à revêtir les passions les plus violentes d’une forme contenue, ne lui a pas toujours été donnée ; mais, à défaut de ce savoir-dire qui est le comble de l’art, il possédait sans contredit l’inspiration créatrice. Cette fois il ne l’a pas cherchée : les scènes incohérentes qui se rattachent à peine les unes aux autres, comme si l’auteur ne voulait nous présenter qu’une série de croquis crayonnés au hasard, n’ont pas de caractère vraiment original. L’action, diffuse et décousue, est entrecoupée encore par les tirades explicatives du comte de Riva, qui déclame comme le Tiberge de Manon Lescaut et le Desgenais de la Confession d’un enfant du siècle, avec la prolixité particulière à ce genre de discoureurs désintéressés. L’une de ses tirades ne remplit pas moins d’un chapitre entier qui porte le titre ironique : « tout bon Allemand est tenu de haïr les Français. » Cette haine, qu’on ne s’expliquerait que chez les vaincus, est en effet depuis la guerre le premier devoir et le fond des sentimens de nos vainqueurs. Après avoir pris à la France son or et ses milliards, ils rappellent, volontiers les réquisitions et les cruautés de Davoust ; par une tartuferie insigne, ils rendent