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qu’elle inspire dès sa première apparition ressemble à du délire. Il pleut lorsqu’elle sort dm théâtre, et un large trottoir humide la sépare de sa voiture ; aussitôt l’acte de chevaleresque galanterie de sir Walter Raleigh se renouvelle, mais ce sont les manteaux de tout le Jockey-Club qui viennent tomber aux pieds de cette souveraine des cœurs pour lui servir de tapis ; un ingénieux commerçant fait fortune en offrant un de ses vieux gants aux baisers dm peuple ; elle ruine d’abord Plant, son premier amant, qui s’était enrichi à la Bourse en faisant valoir les fonds des Barnburg, elle inflige les plus sanglantes humiliations à ce misérable, retombé sous le joug, le chasse lorsqu’il n’a plus rien, et va jusqu’à atteler ensemble, dans un jour de folie, pour les conduire à coups de fouet, le vieux Rosenzweig, son gendre Oldershausen et deux brillans officiers.

Tout ceci la fait remarquer par le roi, dont elle devient la maîtresse ; l’incorruptible Andor lui-même n’échappe pas à son diabolique empire. Il a osé critiquer dans un article sévère l’étoile du théâtre royal. Valéria compte, pour le faire taire, sur quelques billets de banque, qu’il lui renvoie sans daigner même exprimer son dégoût ; mais le premier obstacle qu’elle ait rencontré éveille chez la courtisane un sentiment de curiosité. Elle veut combattre en personne, va droit à l’ennemi, l’enlace de séductions qui doivent l’enivrer, quelque cuirassé qu’il soit de stoïcisme, et obtient enfin ce qu’elle veut, le rôle principal d’une tragédie que vient d’achever Andor, Messaline. Ce rôle, elle le joue d’une façon sublime, parce qu’elle est Messaline même et parce qu’elle aime Andor, comme peut aimer une pareille créature. Il va sans dire que le sage Ulysse, après une héroïque défense, finit par grossir le nombre des pourceaux de Circé.

Cependant Andor ne perd pas toute vertu dans cet esclavage ; on le voit bien lorsque pour la seconde fois une femme entreprend de l’acheter, et cette fois il ne s’agit pas d’une comédienne éhontée, ce n’est rien moins que la reine, représentée par son envoyé Plant, à qui l’agiotage a fourni de nouvelles ressources, et qui fonde une banque avec les pleins pouvoirs, secrets, bien entendu, de sa majesté, dont il a la confiance. On craint la plume intrépide du rédacteur de la Réforme ; on veut lui imposer silence à tout prix. Plant ayant échoué ignominieusement dans sa démarche, c’est la générale Mardefeld, Hanna elle-même, devenue l’amie, la confidente, la conseillère intime de la reine, qui essaie de reprendre son influence d’autrefois sur l’homme qu’elle a trahi ; elle lui offre des titres, des places, ce qu’il voudra. — Pourquoi ne vous offrez-vous pas vous-même ? lui répond froidement Andor.

Hanna ira bien loin dans son rôle de déléguée de la reine. Elle entreprendra, par ordre, de détacher le roi du char de