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Syrie qui ont la prétention d’indiquer où Jonas fut déposé par la baleine sont de vieilles fables relatives à Persée et à Andromède, ou viennent de bas-reliefs figurant le dieu sémitique Dagon. Qu’on songe en effet aux sculptures assyriennes de ce dieu représentant un homme revêtu, comme d’une chape, d’une peau de poisson : il semble sortir des vastes flancs et de la gueule d’un monstre marin. C’est ainsi que l’imagination naïve des populations chrétiennes se représentait le récit biblique, certainement d’origine babylonienne. A en juger par les localités du nom de Beth Dagon connues des Hébreux, les sanctuaires du dieu ichthyomorphe de la Chaldée étaient fort nombreux en Syrie : aujourd’hui ces lieux portent le nom du prophète Jonas, Néby-Younès. Le culte des poissons, si ancien et si populaire en Syrie, comme chez tous les sémites de l’Asie occidentale, est encore observé en maints endroits, particulièrement dans une petite mosquée musulmane de Tripoli. Telle borne milliaire est consacrée comme un bétyle (maison de El) par les habitans : on l’oint d’huile ainsi qu’aux temps d’Abraham et de Jacob. Souvent, le soir venu, on allume une lampe aux rameaux supérieurs d’un vieil arbre -cheik ; les longues épines de ses branches sont couvertes d’étoffes et de guenilles qu’on y accroche comme ex-voto. Outre le culte des poissons et des végétaux, les noms des fleuves et des montagnes sont des témoins éternels de la religion naturaliste des ancêtres. Ce n’est pas seulement le fleuve Adonis qui porte le vocable d’un dieu, mais aussi le Bélus, l’Asclépius, le Damour, le Nahr-Zaharani. Quant aux montagnes, la prétendue grotte d’Êlie sur le Carmel marque sans doute le centre du culte antique de ce dieu si célèbre encore à l’époque romaine. Au petit village de Halalié, à Sidon, un Baal de la montagne, Ζεύς όρειος, figure sur les inscriptions des linteaux de porte de l’église : à la suite d’un rêve et comme acte de piété, on lui avait dédié deux lions ; ce Baal est un frère divin des dieux syriens de l’Hermon, du Liban, du Carmel et du Casius.

Le nom ancien qui reparaît peut-être le plus souvent sous les noms de lieux actuels de la Phénicie, le culte dont les vestiges sont de beaucoup le moins rares et le plus significatifs, c’est le nom et c’est le culte d’Astarté, la grande déesse de Sidon, de Tyr, puis de Carthage, la « reine du ciel, » implacable et froide comme la lune, la vierge armée et sinistre, aussi farouche que la Baalath de Byblos, l’Aschéra de Judée, était molle et sensuelle. Ce n’est pas que les deux déesses appartiennent, comme on l’a dit, à deux races différentes : Astarté et Baalath répondent exactement aux deux formes bien connues d’Istar, divinité assyro-babylonienne. A l’époque où, grâce aux progrès de l’astronomie, les Chaldéens