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tisserands, les céramistes, les verriers, les orfèvres, les joailliers, les bijoutiers et les ivoiriers de Tyr et de Sidon ; on se rappelle leur habileté dans le travail des métaux, la fonte des chapiteaux d’airain, les formes élégantes et puissantes des vases de bronze qu’ils apportaient en tribut à l’Égypte, les fines ciselures des coupes et des armes qu’ils vendaient aux Grecs de l’époque homérique. Bien qu’aux tombes égyptiennes de la IVe et de la Ve dynastie on voie déjà des verriers soufflant leurs manchons, il est permis de douter qu’on ait jamais égalé la légèreté, la grâce et les charmans irisages des objets de verre de fabrique sidonienne.

Les innombrables cuves creusées dans le roc sur toute la côte, les silos destinés à conserver les grains, les piscines, les citernes, les pressoirs monolithes à vin et à huile, les meules énormes éparses dans les champs, tout cet outillage industriel et agricole, aux proportions colossales, révèle le génie propre de la vieille Phénicie. Là seulement, à Ruad, à Byblos, dans la baie de Kesrouan, à Beyrouth, à Sarba, au pays de Tyr, surtout à Oum-el-Aâmed, au sein de ses teintureries, de ses fermes et de ses métairies, elle n’est ni égyptienne, ni assyrienne, ni persane, ni grecque, ni romaine ; elle est la Phénicie. « La Phénicie, a écrit M. Renan, est le seul pays du monde où l’industrie ait laissé des restes grandioses. Un pressoir y ressemble à un arc de triomphe. Les Phéniciens construisaient un pressoir, une piscine, pour l’éternité. »

Les images et les souvenirs bibliques reviennent en foule à l’esprit devant ces ruines champêtres. On songe au père de famille de l’Évangile, qui planta une vigne, l’environna d’une haie, y creusa une cuve à pressoir. Avec le bruit des meules qui dès l’aurore remplissait les bourgs et les petites villes de la Phénicie, toute industrie a cessé, toute vie s’est retirée de ces villages, et l’outil a duré plus que l’artisan. N’importe, il n’a point manqué à sa tâche, le rude et sombre ouvrier ; jamais il ne fut si dur aux autres qu’à lui-même ; trapu et ramassé, il pétrissait ou tordait la matière en révolte ; la vaste plaine marine et les blocs énormes de la carrière furent toujours pour lui une sorte de chaos qu’il traita en démiurge.


III. — LA RELIGION.

C’est le propre de toutes les grandes explorations archéologiques d’augmenter ou de renouveler notre connaissance générale de la vie intellectuelle et morale de telle ou telle famille de l’humanité. Uniquement occupé en apparence à déblayer des nécropoles, à dessiner des bas-reliefs, à mesurer des sarcophages et à estamper des inscriptions, le savant digne de ce nom sait retrouver sous la cendre des civilisations les plus lointaines quelques étincelles du feu sacré,