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frères de ces Juifs de Jérusalem qui ne comprirent jamais rien à la culture hellénique, et qui se détournaient avec horreur des palestres et des gymnases grecs du grand-prêtre Jason[1], on admirera la souplesse du génie de Canaan, cette merveilleuse puissance d’adaptation aux temps et aux milieux que seuls les Israélites exilés et dispersés par le monde devaient un jour surpasser.

La Sidon souterraine, je veux dire l’immense nécropole de la ville où fut trouvé en 1855, dans la « caverne d’Apollon, » Mughâret Abloun, le sarcophage d’Eschmounazar, a livré quelques beaux monumens funéraires. Les tombeaux sont les meilleurs legs archéologiques laissés par les Phéniciens. Le tombeau est la « maison éternelle » des peuples sémitiques. Ce ne sont pas seulement les Égyptiens qui parlaient ainsi, le mot se lit dans un auteur hébreu[2]. Les Cananéens enterrèrent d’abord leurs morts dans des cavernes naturelles ; plus tard, ils creusèrent dans le roc des caveaux rectangulaires, à forme de puits, qui s’ouvraient latéralement sur des chambres sépulcrales : ce type est certainement le plus ancien, il est tout égyptien. Le cadavre était de même traité selon les pratiques des bords du Nil : l’usage de mettre des feuilles d’or à toutes les ouvertures du corps, surtout aux yeux, paraît aussi avoir été général en Phénicie. La bouche toujours béante du puits où l’on descendait le cadavre est cette gueule dévorante, insatiable, du schéôl, qui faisait dire aux Hébreux pour signifier la mort : « la bouche du puits l’a dévoré. « De lourdes dalles recouvertes de terre végétale fermaient le puits à une certaine hauteur. Couché dans son sarcophage, seul en sa chambre sépulcrale plongeant aux entrailles de la terre, le mort reposait pour l’éternité. Peut-être un édicule s’élevait-il, ainsi qu’en Égypte, sur les caveaux à puits ; les caveaux à escaliers, moins anciens, avaient au-dessus, comme à Amrit, des pyramides ou meghâzil.

Dans la caverne d’Apollon, on rapprocha les curieux fragmens d’un sarcophage à tête sculptée qui, au lieu d’être comme d’ordinaire une gaîne surmontée d’une tête, rappelle par le travail des bras, des mains et de la draperie, les procédés de sculpture de l’art assyrien et de l’art, grec archaïque. Deux sarcophages phéniciens trouvés près de Palerme au XVIIe et au XVIIIe siècle ressemblent presque de tous points à celui de Sidon : ils ont du moins pu échapper à la funèbre industrie des spoliateurs de sépultures, qui ne fleurit pas moins chez les chrétiens actuels de Syrie que dans la vieille Égypte pharaonique. A la lettre, on ne retire plus des nécropoles un sarcophage qui n’ait été violé ; le couvercle est-il trop

  1. II Makk., IV, 14-15.
  2. Ecclésiaste, XII, 7.