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phénicien. Nous ne pouvons insister sur les petits objets, scarabées, statuettes, amulettes, bijoux, presque tous de provenance égyptienne, exhumés des jardins de Saïda. De très bonne heure, avant Alexandre même (dès 400 à peu près), Sidon s’hellénisa. Elle eut des rois philhellènes. Ses bourgeois opulens voulaient reposer après leur vie dans des grottes champêtres, aux murs couverts de fines et élégantes peintures, retraçant, comme à la nécropole de Halalié, parmi les oiseaux et les fleurs, le gracieux mythe de Psyché[1]. Au IIIe et au IIe siècle, des Sidoniens prirent part aux concours et aux jeux de la Grèce. L’un d’eux, Diotime, vainqueur à Némée, avait voulu transmettre à la postérité sa statue et son éloge : celui-ci seul a été retrouvé dans un jardin de Saïda gravé en dialecte dorien sur un beau bloc de marbre des îles grecques. M. Egger, qui, par son profond savoir d’antiquaire et de philologue, a tant contribué à la publication et à l’interprétation des textes grecs de la Mission de Phénicie, a restitué avec M. Miller l’inscription métrique de Diotime ; on peut la traduire ainsi :


« Le jour où dans les stades argoliques les braves se sont disputé la victoire de la course des chars, ce jour, Diotime, la terre phoronide t’a décerné un bel honneur, et tu as ceint des couronnes immortelles, car, le premier de tes compatriotes, tu as remporté de l’Hellade dans la maison des nobles Agénorides la gloire hippique. La sainte ville de Thèbes cadméide se réjouit aussi en voyant sa métropole illustrée par des victoires. La ville de Sidon célébrera des fêtes en l’honneur de ton père Dionysios, parce que l’Hellade a fait retentir cette clameur éclatante : « ce n’est pas seulement par tes navires aux flancs recourbés que tu excelles, tu remportes aussi des victoires avec les chars attelés. »


Peu de textes, il le faut reconnaître, donneraient autant à réfléchir. Ce pastiche de commande, mais non sans agrément, montre à quel point était déjà avancé au me siècle le mélange de races et d’idées d’où devait sortir, avec l’adoption des modes et des arts de la Grèce en Phénicie, le syncrétisme historique et religieux du livre de Sanchoniathon. Tout en rappelant fièrement son titre de métropole de l’Hellade, prétention assez justifiée, mais non comme l’entend Diotime, la Phénicie met désormais sa gloire à se rattacher aux traditions grecques. Le sculpteur Timocharis d’Éleutherna, qui a signé le bloc de marbre, paraît s’être établi à Rhodes : c’est en cette île sans doute, où de si bonne heure les Cananéens s’étaient établis avec leurs dieux, que l’épigramme fut composée par quelque poète de profession. Si l’on songe que les Phéniciens étaient les

  1. Mission, p. 395 ; cf. ce que M. Renan rapporte des jolies chambres peintes de Néby-Younès, p. 510.