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sévissent comme des épidémies, à certains momens de l’histoire, dans tous les grands centres de population industrielle. C’est que le prolétaire et l’esclave font peu de cas de cette vie et applaudissent volontiers à toutes les ruines. Après la prise de Tyr par le héros macédonien, tout ce qui n’avait pas été tué fut vendu ; des 30,000 individus exposés sur les marchés d’esclaves, la plupart appartenaient déjà à cette classe de misérables ; au lieu de travailler dans les teintureries ou dans les verreries de Tyr, ils servirent des marchands du Pirée où des potiers de Corinthe. S’ils n’avaient rien gagné, ils ne perdaient rien, et il y avait toujours dans le monde une grande ville de moins.


II. — L’ART.

Rechercher les monumens, les objets d’art, les inscriptions que ces villes en poudre peuvent avoir conservés, telle était la tâche difficile de la mission. Ce n’est pas que la Phénicie tienne une grande place dans l’histoire de l’art. Si par ce mot on entend une manière propre de réaliser dans une certaine mesure l’idéal esthétique d’une race d’après un type fixé une fois pour toutes et selon des lois de développement organique, comme l’art égyptien, l’art assyrien ou l’art grec, on peut affirmer hardiment qu’il n’y a point d’art phénicien. Ainsi que les nations vouées au commerce et à l’industrie, les Phéniciens n’ont jamais vu dans l’art que l’utile et l’agréable ; ils ne l’ont point distingué de la mode. Pendant mille ans, de l’invasion des Hyksos dans la Basse-Égypte jusqu’à la XXe dynastie et bien plus tard encore, les ouvriers cananéens allèrent à l’école des fils de Misraïm. Ce n’est point seulement sous le rapport politique et religieux que la Phénicie des Thotmès et des Ramsès fut une province de l’Égypte : c’est aussi sous celui de l’art. Les symboles et les formes de l’architecture phénicienne ont été importés des bords du Nil avec le costume et les rites funéraires. Quand les durs conquérans de Ninive, de Babylone et de Suse répandirent jusqu’en Syrie et en Asie-Mineure la civilisation chaldéo-assyrienne, Tyr et Sidon sacrifièrent aux modes asiatiques. Dès 400, avant Alexandre, l’art grec a déjà conquis toute la Phénicie. Puis vient l’époque romaine, et au IIe et au IIIe siècle le pays se couvre de monumens conformes au goût du temps. Les temples du Liban en particulier, les sanctuaires vénérés d’Adonis et de Baalath, furent tous rebâtis en style grec ou gréco-romain. Rien ne montre mieux que ces éternelles variations du goût et de la mode l’absence complète d’un art indigène. M. Renan en a très judicieusement fait la remarque, l’Égypte n’adopta jamais les ordres grecs. Si les temples et les monumens des cités phéniciennes avaient été