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plus aucun vestige de son passé phénicien. Cette fidèle vassale des Thotmès et des Ramsès, dominatrice des cités de Canaan, des îles et des rivages de la Méditerranée du XVIIe au XIIIe siècle, cette mère vénérée de la civilisation de l’Occident, ce grand entrepôt où s’entassaient les produits et les marchandises de l’Inde, de la Bactriane, de la Chaldée, de l’Arabie, des régions du Caucase, de l’Afrique, de l’Espagne et des îles de l’Etain, — fut trop souvent ruinée et miss à sac par les pirates d’Ascalon, par les Sin-akhé-irib et les Assour-akhé-idin, même par un pharaon, Ouhabrâ, pour qu’on s’étonne qu’elle n’ait point survécu à la conquête musulmane et à la civilisation moderne. Il est remarquable que la plupart de ces maux furent attirés par un manque de tact politique qui surprend chez des armateurs et des négocians aussi avisés que les Sidoniens. Pour ne point payer au grand empire de la vallée du Tigre et de l’Euphrate un misérable tribut, des rois comme Loulii et Abdimilikouth ont causé la ruine de leur patrie, les massacres des familles nobles sidoniennes, la transportation en masse des habitans en Assyrie que remplacèrent des colons venus de la Chaldée et de la Susiane.

Aujourd’hui c’est l’élément musulman dans toute sa sécheresse qui domine à Saïda. Et pourtant, ici comme à Byblos, la vieille population indigène a encore une gaîté, une élégance, une légèreté tout antiques : dans les rues, on rencontre des enfans du type égyptien le plus pur, gracieux et doux ; mais la gloire de Saïda, ce sont ses jardins. Nulle part peut-être, si ce n’est à Damas, ce paradis dont les visions poursuivent jusqu’au désert le maigre Arabe nomade, on ne voit tant d’arbres chargés de grenades, d’oranges, de figues, d’amandes, de citrons, de prunes, de poires, d’abricots, de pêches, de cerises et de bananes. Ainsi qu’aux jours anciens, Sidon est toujours « Sidon la fleurie. »

Le site de Tyr, avec sa chaussée construite par Alexandre, a rappelé à M. Renan Saint-Malo, et son sillon. Ce qui reste des ruines de cette ville bâtie avec des ruines est l’ouvrage des croisés et des Sarrasins. Autant vaudrait chercher à Marseille la cité primitive des Phocéens que prétendre retrouver à Sour l’immense ruche industrielle qui bourdonna quelque temps sur ce rocher, puis s’est tue pour l’éternité. Héritière de Sidon détruite au XIIIe siècle par les Philistins, Tyr continua dans le monde la mission civilisatrice de la cité « mère en Canaan ; » elle acheva la colonisation des côtes et des îles de l’Occident ; mille ans et plus avant notre ère, au temps où le roi Hiram était l’allié et l’ami de Salomon, avec ses sanctuaires reconstruits, ses ports magnifiques, son palais royal, ses arsenaux, ses agrandissemens, elle était sans conteste une des plus opulentes villes de l’univers. Ce n’est pas qu’elle fût grande, cette Tyr insulaire, qui, comme Aradus, déborda sur la côte voisine où s’éleva une autre