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Genèse son nom antique, et rappelle avec Tyr les deux plus anciens sanctuaires de la patrie primitive des Cananéens sur le Golfe-Persique, Tylos et Aradus, n’est qu’un écueil d’environ 800 mètres de long sur 500 mètres de large : le roc est à vif dans la plus grande partie. L’île est encore couverte d’habitations séparées par des ruelles étroites comme au temps de Strabon ; les maisons de la cité insulaire y avaient alors un grand nombre d’étages. Ainsi qu’aux jours lointains de la dix-huitième dynastie, les Aradiens forment un petit monde à part, une population distincte à bien des égards des autres populations de la Syrie, et comme une sorte de république indépendante. Quand tous les fois de la terre et des îles se courbaient sous la sandale des pharaons ou devant le sceptre de fer des farouches conquérans d’Assour, les Cananéens d’Arad inclinaient à peine leur nuque d’airain. Point de coalition contre les grands empires dans laquelle ils ne soient entrés : avec les Rotennou sous Thotmès III, avec les peuples de la Syrie du nord, de l’Asie-Mineure et des îles de la Grèce sous Ramsès II et sous Ramsès III ; ils ne subirent pas plus docilement le joug des Salmanasar et des Assour-ban-habal. Toujours vaincus, jamais domptés ; tel de leurs rois aima mieux se tuer de sa propre main que recevoir l’aman du vainqueur. Ce rocher, battu des flots, a causé quelques heures de déplaisir aux maîtres du monde, voilà tout. Les destinées historiques de l’humanité n’en ont pas autrement souffert. Le manque d’intelligence politique, le fanatisme et l’étroitesse d’esprit peuvent servir de caractéristique au peuple d’Aradus et à quelques autres familles sémitiques : Tyr et Jérusalem ont péri par le même vice.

Il semble que la bizarrerie des habitans, aujourd’hui exclusivement musulmans, ait survécu à toutes les révolutions des empires. La mission rencontra à Ruad des difficultés extraordinaires. Voici ce que M. Renan raconte des dispositions des insulaires quand les marins du Colbert débarquèrent pour procéder aux fouilles :

« Les jardins où nous devions faire des excavations, et dont les propriétaires avaient déjà reçu un salaire, se trouvèrent fermés ; les possesseurs des inscriptions refusèrent de les laisser enlever. Tous s’excusèrent en disant qu’ils avaient reçu défense, sous les menaces les plus graves, de contribuer à nos travaux. Cette défense ne venait pas assurément de l’autorité turque, représentée à Ruad par un infortuné mudhir qui n’a pas sous ses ordres un seul zaptié, et qui d’ailleurs nous livrait tous ses pouvoirs avec une largeur presque exagérée. On m’avoua enfin que la défense venait du bazar, c’est-à-dire de quelques fanatiques. Ces insensés, groupés autour de la mosquée et du bazar, font l’opinion ou plutôt la conduisent par la crainte de l’incendie et de l’assassinat à tous les excès. Par antipathie pour la France et par suite de cette haine instinctive