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honneur, le plus grand que pût obtenir un homme de lettres, mit le comble à la réputation de Bouhier. A Dijon surtout, où il continuait à résider, il fut l’objet de toute sorte d’hommages et de distinctions. Il y vieillit au milieu de l’estime publique, recherché de tout le monde pour les agrémens de son commerce, respecté de la compagnie dont il faisait partie et qu’il honorait par sa grande renommée, et ses collègues, quand ils prononçaient son nom dans les cérémonies officielles, n’hésitaient pas, même en sa présence, à l’appeler ouvertement « un grand homme. »

Tel fut le modèle que De Brosses eut devant les yeux dès sa jeunesse et que de bonne heure il se proposa d’imiter. Bouhier avait été surtout un érudit célèbre ; c’est par l’érudition que De Brosses voulut s’illustrer. Il quittait à peine le collège quand il fit choix du travail auquel il résolut de consacrer sa vie. Il conçut l’idée de choisir quelque grand écrivain de l’antiquité qui ne nous fût parvenu qu’en débris et d’essayer de le compléter. « Pourquoi ne pas entreprendre, disait-il, sur les fragmens rassemblés d’un ancien historien ce que d’industrieux artistes ont heureusement exécuté sur des statues mutilées ? Nous sommes riches, peut-être plus que nous ne croyons, en débris informes d’originaux perdus. Diodore, Plutarque, Josèphe, Strabon, Pline, Athénée, Diogène Laërce, Clément d’Alexandrie, Isidore, les grammairiens, etc., peuvent en fournir un très grand nombre tirés des anciens historiens, poètes et philosophes, dont les écrits subsistaient encore de leur temps ; mais, tandis que ces débris, ainsi désunis et dispersés, ne font presque aucun effet, il s’agirait de ranimer un peu la cendre des plus anciens historiens ensevelis dans la nuit des temps, de mettre à part tout ce qui appartient à chacun, d’en disposer les fragmens dans leur ordre naturel, de les comparer soigneusement soit entre eux, soit avec les histoires moins mutilées des mêmes faits, de les réunir. lorsqu’ils doivent se rejoindre, de remplir les intervalles, quand cela est possible, par le narré que fournit un autre auteur ancien, et d’éclaircir le surplus par de bonnes explications. » C’est le travail qu’il entreprit sur Salluste. On sait que Salluste avait écrit, outre le Catilina et le Jugurtha que nous avons conservés, une grande histoire qui s’est presque entièrement perdue : De Brosses forma le dessein de publier de nouveau l’œuvre entière du grand écrivain de Rome. Il voulait donner des deux ouvrages qui subsistent des éditions plus exactes et restituer celui que nous n’avons plus