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d’interprétation. Avec lui, nous voyons la science nouvelle de la linguistique mettre pour la première fois ses méthodes au service du déchiffrement. Lassen a trouvé juste sur un certain nombre de points ; mais il n’a pas toujours échappé au danger d’exagérer l’archaïsme de la grammaire ombrienne. Son travail, resté inachevé, ne va pas au-delà d’un court fragment. Deux ans plus tard, G.-F. Grotefend, qui s’était signalé par sa sagacité dans le champ de l’épigraphie perse (c’est lui qui commença le déchiffrement des inscriptions cunéiformes de Persépolis), donna ses Rudimenta linguæ umbricæ. Il ne suit pas l’ordre des inscriptions, mais il explique successivement un certain nombre de passages choisis de côté et d’autre : cette disposition incommode, que vient aggraver le manque d’index, est cause sans doute que son travail n’a pas été lu autant qu’il aurait mérité de l’être. On y aurait rencontré un certain nombre d’interprétations qui plus tard ont été retrouvées par d’autres.

Nous arrivons à l’ouvrage d’Aufrecht et Kirchhoff : les Monumens de la langue ombrienne (1849-1851), qui a fait époque dans le déchiffrement des Tables eugubines, et qui peut servir de modèle pour tous les travaux du même genre. Les auteurs, philologues l’un et l’autre, le second représentant surtout l’érudition classique, le premier se rattachant à l’école comparative, étaient par leur association parfaitement en mesure de résoudre les principales difficultés du problème. Ils ont apporté à leur tâche un savoir, une pénétration et un tact qu’on ne saurait assez reconnaître. Le moyen principal qu’ils emploient pour entrer dans la connaissance du texte n’est pas, comme on pourrait le croire, l’étymologie. Ils gardent au contraire en matière étymologique une réserve presque exagérée, mais qu’on approuvera, si l’on pense aux témérités dont ces études avaient été l’occasion. Le moyen employé par les deux savans est le même qu’Eugène Burnouf avait appliqué aux livres zends ; c’est celui dont il faudra toujours, en pareil cas, se servir de préférence à tout autre : le rapprochement des passages semblables. Tantôt c’est la même phrase qui se trouve en deux endroits, mais la première fois avec un seul sujet, la seconde fois avec deux : on voit alors les désinences des adjectifs et des verbes se modifier, les pronoms possessifs changer. Tantôt la même prière est adressée à un dieu, puis à une déesse ; on obtient ainsi la marque des genres. Ou bien la même prescription est exprimée une fois avec un verbe à l’impératif, une autre fois avec une forme verbale qui se révèle comme un subjonctif ou un optatif. Après qu’une série de prescriptions a été donnée, elles reparaissent plus loin comme autant de faits accomplis : on arrive à dresser de cette façon le tableau de la conjugaison. Les deux auteurs reconnaissent la fin des phrases par la comparaison des endroits où la même