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française. L’expédition, organisée sous les auspices du khédive d’Égypte, qui avait élevé sir Samuel Baker au rang de pacha et l’avait investi du pouvoir suprême sur les pays qu’il devait parcourir, fut organisée en 1869 et dura quatre années ; elle eut pour but avoué de soumettre à l’autorité du gouvernement égyptien les contrées situées au sud de Gondokoro, de supprimer la traite, d’inaugurer un système de commerce régulier, d’ouvrir à la navigation les grands lacs équatoriaux, enfin d’établir une ligne de postes militaires et d’entrepôts commerciaux, séparés les uns des autres par une distance de trois jours de marche, à travers l’Afrique équatoriale, en prenant Gondokoro pour base d’opérations. Il faut savoir gré au khédive d’avoir osé concevoir un tel projet et surtout d’avoir osé en confier l’exécution à un chrétien dont il armait le bras d’un pouvoir discrétionnaire. Le khédive y risquait sa popularité, car tous ses sujets, presque sans exception, regardaient l’entreprise avec un dépit mal déguisé, et M. Baker ne devait pas tarder à éprouver les effets de l’hostilité sourde des autorités, qui sans vergogne contrecarraient ses plans et faisaient naître sous ses pas des obstacles presque insurmontables.

Nous ne suivrons pas Baker-Pacha dans le récit de son expédition, qui renferme des renseignemens fort curieux sur les pays compris dans le bassin du Nil-Blanc, et qui emprunte un intérêt presque dramatique aux nombreuses péripéties de sa lutte énergique contre les difficultés sans nombre que lui suscitait le mauvais vouloir des autorités égyptiennes, dont la connivence avec les marchands d’esclaves était manifeste. Cette lutte, semée de combats à main armée, eut pour résultat d’entraver momentanément la traite sur les points où Baker-Pacha portait ses moyens d’action ; mais le mal était trop ancien, trop invétéré, pour céder à cet essai de cautérisation locale. Il est vrai qu’on a officiellement annexé Gondokoro, qui a pris le nom d’Ismaïlia en l’honneur du khédive, et que la traite a été ostensiblement désavouée et même prohibée par le gouvernement égyptien ; M. Baker a infligé des pertes sensibles à quelques traitans, a confisqué des bâtimens négriers et délivré les captifs qu’ils emmenaient ; mais un revirement complet s’est opéré après son départ. Hélas ! les chasseurs d’esclaves sont tous sujets et même fermiers du gouvernement. L’expédition placée sous le commandement de Baker-Pacha avait pour objet la suppression des compagnies arabes investies du droit de commerce dans l’Afrique centrale, droit qu’elles avaient acquis à beaux deniers comptans en retour d’une rente payée au gouverneur-général du Soudan. Baker-Pacha, muni d’un firman du khédive qui rappelle le bon billet de La Châtre, s’en allait ruiner les fermiers du gouvernement !

« Sur une étendue de 2,600 kilomètres, disait sir Samuel Bakes en terminant son livre, de Khartoum à l’Afrique centrale, le Nil-Blanc est