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réservoirs que traverse le Nil avant de descendre vers les plaines de l’Égypte, le lac Albert Nyanza, dont Speke avait seulement signalé l’existence d’après les rapports des indigènes. Le « voyage aux sources du Nil, » qui fut entrepris par lui, il y a quatorze ans, et dans lequel il n’eut pour compagnon que sa courageuse femme, a été raconté ici même dans tous ses détails. Après son retour, la reine d’Angleterre lui accorda le titre de baronnet, et notre société de géographie lui décerna sa grande médaille d’or. Mais M. Baker était revenu avec la pensée d’une noble et grande entreprise par laquelle il s’est acquis de nouveaux droits à la reconnaissance publique, la pensée d’une expédition ayant pour but la suppression de la traite des noirs dans l’Afrique centrale.

Lors de son premier voyage, il avait traversé des contrées fertiles, douées d’un climat salubre et favorable à l’établissement des Européens, grâce à une altitude moyenne de plus de mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette vaste zone était peuplée par une race douce et docile, ne demandant que la protection d’un gouvernement fort pour prendre un grand essor en développant les admirables richesses du sol. Dans certaines régions, le sucre, le coton, le café, le riz, les épices, pouvaient être cultivés avec succès ; mais, en l’absence de toute espèce de gouvernement civilisé, la traite y florissait, décimant la population et arrêtant tout progrès. Des contrées riches étaient changées en désert ; les femmes et les enfans étaient emmenés en captivité, les villages brûlés, les récoltes détruites, les habitans chassés. Les trafiquans qui se livraient à cet odieux commerce se recrutaient parmi les Arabes sujets du gouvernement égyptien ; ils s’étaient constitués en bandes nombreuses et bien armées qui ravageaient le pays. On portait à 15,000 le nombre de ces forbans, sujets du khédive, qui, prétextant le commerce d’ivoire, se livraient à la traite des noirs dans les districts du Nil-Blanc. Quant au nombre des esclaves enlevés annuellement de l’Afrique centrale, il est impossible de l’évaluer exactement. M. Baker pense que 50,000 individus au moins sont capturés chaque année. M. É.-F. Berlioux, professeur d’histoire au lycée de Lyon, dans un excellent travail publié par une société abolitioniste anglaise[1], porte le nombre des esclaves exportés annuellement à 70,000 ; mais le chiffre des décès qu’entraînent les razzias d’hommes et les traitemens barbares infligés aux captifs est peut-être cinq ou six fois plus considérable.

C’est pour mettre un terme à ces horreurs, ou du moins pour les atténuer dans la mesure du possible, que M. Baker entreprit l’expédition qu’il raconte dans le livre récemment publié par lui sous le titre d’Ismaïlia, et dont M. Hippolyte Vattemare vient de donner une traduction

  1. The Slave-trade in Africa in 1872, by E.-F. Berlioux, London 1872. Marsh. — Voyez aussi la Traite orientale, par M. E.-F. Berlioux. Paris 1870. Guillaumin.