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Ce n’est point au surplus dans les parlemens que se passent maintenant les choses les plus sérieuses ou les plus extraordinaires. Les assemblées sont pour l’expédition des affaires courantes, pour la sanction des faits accomplis ; la diplomatie se charge des grandes combinaisons, des secrets et des surprises. La question toujours grave et dominante est de savoir ce qui se prépare en Orient, ce que se proposent les cabinets ou ce que l’imprévu peut faire sortir de ces complications, devant lesquelles toutes les politiques semblent hésiter à dire leur dernier mot. Tout le monde parle de la paix ; ce serait pour le mieux, si en même temps on n’avait pas l’air de se méfier et de s’attendre à tout. On est d’accord ou l’on paraît être d’accord sur la nécessité de maintenir l’intégrité de l’empire ottoman, à la condition de ne pas prendre trop au sérieux cette intégrité et de se mettre en mesure de faire face à des accidens qu’on s’expose à précipiter. La Turquie est dans une situation des plus compliquées, des plus tristes, cela n’est point douteux. Elle ne peut arriver à réprimer une insurrection qui dure depuis plus de six mois, qui est la fatale conséquence d’une administration oppressive ; elle a profité de la circonstance pour se mettre à l’aise avec ses créanciers européens en recourant à une réduction de sa dette, qui a compromis son crédit. Elle laisse voir son impuissance sous toutes les formes. Et après ? comment se propose-t-on de l’aider à sortir de là ? C’est M. le comte Andrassy qui s’est chargé, à ce qu’il paraît, de préparer de concert avec la Russie la charte des réformes que l’Europe veut demander à la Porte. Déjà le premier ministre autrichien aurait, dit-on, rédigé son programme, qu’il aurait communiqué à Saint-Pétersbourg et qui touche nécessairement aux points les plus aigus : perception des impôts par des agens chrétiens dans les localités chrétiennes, tribunaux mixtes pour les procès entre Turcs et raïas, égalité entre musulmans et chrétiens même dans le service militaire. Il reste à savoir si ce programme est dès ce moment agréé par le gouvernement du tsar, si, dans le cas où il serait accepté par la Russie, il sera subi sans contestation par la Turquie, et enfin dans quelle mesure les cabinets européens, agissant d’intelligence ou isolément, sont décidés à intervenir pour la réalisation des réformes qu’ils proposent. Tout cela n’est point aussi facile qu’on le croit. Le premier inconvénient de cette politique, c’est de placer l’Europe dans l’alternative de reculer, de se borner à de vaines réclamations ou de se laisser entraîner par degrés dans de singulières aventures. Un autre danger, qui éclate brusquement aujourd’hui, a été de réveiller dans toute sa gravité cette question d’Orient, que l’Angleterre, de son côté, vient d’aborder à sa manière avec une hardiesse dont elle semblait avoir perdu l’habitude depuis bien des années. L’Angleterre a laissé l’Autriche et la Russie à leurs projets de réformes intérieures pour la Turquie, elle est allée droit en Égypte, là où elle croit avoir ses intérêts à sauvegarder.