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de la politique. Si le parti conservateur n’avait pas d’autres représentans ou d’autres champions pour le conduire au combat, puisque le jeune député du Cantal est si impatient d’aller au combat, il serait fort en péril. Tout ce qu’on peut dire de mieux, c’est que le scrutin d’arrondissement a triomphé de la défense de M. de Castellane, comme il a triomphé d’une attaque nouvelle et cette fois bien plus sérieuse de M. Gambetta, qui est revenu à la charge après la singulière équipée où il s’était laissé récemment emporter.

M. Gambetta a-t-il voulu réparer la maladresse qu’il avait commise, et rétablir sa réputation de tacticien ? Ce qui est certain, c’est qu’une fois de plus il a montré qu’il y a en lui deux hommes, toujours occupés à se contredire et à se quereller, l’un fatalement entraîné par des inspirations ou par des engagemens de parti, l’autre sentant la nécessité et le prix de la modération. Il y a quelque temps, c’était le tour du tribun impatient et fougueux, remuant les passions, compromettant par sa violence ce qu’il voulait servir, blessant ceux qu’il aurait dû ménager, et cette sortie furieuse, mal calculée, avait le succès de toutes les violences de parti ; elle trouvait son châtiment dans un humiliant échec. Ces jours derniers, c’est le modéré qui s’est retrouvé maître de lui-même, raisonnant au lieu de déclamer, évitant d’être agressif, et, si la cause du scrutin de liste avait pu être relevée, elle l’aurait été par ce dernier discours. M. Gambetta en effet a dit tout ce qu’on pouvait dire, il a su trouver et développer les raisons sérieuses ou spécieuses qu’on peut invoquer en faveur du scrutin de liste. M. Gambetta s’est exprimé certainement en politique lorsqu’il a parlé de la nécessité de fonder, pour la période qui va s’ouvrir par les élections prochaines, « un gouvernement véritablement fort, puissant sur l’opinion de la France comme sur l’opinion de l’Europe. » Il a eu surtout des paroles qui sont des engagemens, qui sont sans doute l’expression d’un patriotisme réfléchi, lorsqu’il a montré en traits saisissans la nécessité de la modération, de la conciliation, et lorsqu’il a donné la vraie raison, la meilleure garantie de la persistance nécessaire de cette modération qui a produit le 25 février, en montrant « la trouée des Vosges. » Rien de mieux que tout cela. Pourquoi donc M. Gambetta n’a-t-il pas tenu ce langage il y a trois semaines au lieu d’offenser des libéraux qui, eux aussi, ont eu à faire des sacrifices, et qui les ont faits dans l’intérêt de la France ? S’il avait parlé ainsi, il n’aurait pas sans doute sauvé le scrutin de liste, il n’aurait pas vraisemblablement empêché l’adoption du scrutin d’arrondissement ; mais il aurait contribué à mettre plus de confiance entre des partis dont le rapprochement serait utile ; il n’aurait pas aigri les dissentimens, et à défaut d’un succès sur la question du scrutin, il aurait aidé peut-être à préparer des conditions plus favorables pour l’élection des sénateurs. Hier, il était trop tard pour ces appels à la modération, on le lui a dit. Nous savons bien que M. Gambetta a pu