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insinuer dans ce sens. Il craignait que le chancelier ne lui adressât le même reproche que don Quichotte avait coutume de faire à Sancho Pansa, à savoir « qu’il ne se connaissait pas en matière d’aventures. » — « Nous éprouvons quelque surprise, est-il dit ailleurs dans la brochure, quand nous voyons un éléphant se servir du même instrument pour soulever des quintaux et pour ramasser à terre des aiguilles. Le prince de Bismarck ne procède pas autrement ; mais pour l’éléphant, qui a le sens rassis et peu d’imagination, l’aiguille n’est qu’une aiguille. Pour le chancelier de l’empire, elle est un instrument meurtrier, trempé dans le poison. On nous a montré nombre de ces aiguilles qui ont excité les nerfs malades du chancelier, et qui ont eu sur la constellation politique plus d’influence que maint coup de canon, — l’aiguille Duchesne, l’aiguille de la Presse de Vienne, les aiguilles Gerlach, Windthorst, Lasker, Virchow, e tutti quanti. »

Serait-il vrai qu’on ne dispute dans la Wilhelmsstrasse que sur des pointes d’aiguilles ou sur des têtes d’épingles ? Il est permis d’en douter. Ce n’est un mystère pour personne que M. de Bismarck a beaucoup d’ennemis très sérieux, qu’à la cour comme à la ville de hautes influences lui ont souvent été contraires, qu’à l’exemple du loup de la fable il a tout gagné à la pointe de l’épée, et qu’au lendemain de la guerre franco-allemande il a eu besoin de toute son énergie pour mettre sa situation à l’abri des surprises et des cabales. L’occasion parut bonne aux gens qui ne l’aiment pas pour rapporter à l’armée et à ses chefs toute la gloire des événemens et pour déclarer d’un ton leste qu’il n’y a pas d’hommes nécessaires. Le chancelier de l’empire a déjoué les mauvaises intentions de ses ennemis par une de ces manœuvres hardies qu’il exécute avec autant d’habileté que de résolution. Après avoir passé près de dix ans à batailler contre le parlement, à pratiquer le système « de gouverner avec les minorités, » changeant tout à coup de tactique, il a cherché dans le parlement son point d’appui. Il s’est fait du Reichstag un camp fortifié, d’où il peut braver toutes les cabales. Il a rompu ses anciennes alliances, il a renouvelé sa clientèle, il est devenu le patron des nationaux-libéraux. Certes il n’entendait pas leur accorder cette extension des libertés parlementaires qu’ils réclament. Il n’a eu garde d’adopter leurs principes, mais en soulevant la question religieuse il a satisfait leurs passions, et il savait que lorsqu’on donne contentement aux passions des hommes, ils deviennent plus coulans sur les principes, qu’ils sacrifient facilement leur liberté à leur fanatisme, et que les nationaux-libéraux feraient les plus grandes concessions à celui qui seul pouvait mener à bonne fin une campagne contre Rome. Quand le parti fait mine de regimber contre les compromis qu’on lui impose, quand il menace de ne pas voter l’impôt sur les valeurs de bourse ou sur la bière et les articles additionnels au code pénal, le bruit court que M. de