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et une détestation des péchés commis, jointe à la volonté de n’en plus commettre, » il savait que le condamné n’était point contrit, que jamais il ne se déciderait à s’écrier dans la plénitude de son cœur : Delicta juventutis meæ ne memineris, Domine ! Aussi le mystérieux inconnu de Potsdam n’a-t-il pas cherché à désarmer des rancunes qui ne rentrent pas facilement leurs griffes, il s’est occupé plutôt de les troubler dans la jouissance de leur triomphe. Sa brochure ressemble moins à un plaidoyer qu’à un réquisitoire, et pourrait bien être une œuvre de vengeance.

S’il en est ainsi, l’auteur du Pro nihilo n’a pas manqué son but. Les révélations plus ou moins canoniques que renferme son factum ont été jugées non-seulement désagréables, mais compromettantes et dangereuses. L’événement l’a prouvé. Le Pro nihilo a été saisi à Berlin par ordre du ministère public, parce qu’il contient « des offenses et des calomnies répétées contre le chancelier de l’empire et le ministère des affaires étrangères. » Deux jours plus tard, le journal officiel de l’empire complétait cette déclaration en ajoutant que la saisie « avait été ordonnée en première ligne à raison d’offenses à la personne de sa majesté l’empereur » » Il est possible que ces offenses à la personne de l’empereur n’aient été découvertes qu’après coup, il est possible qu’on les ait trouvées parce qu’on les cherchait ; mais il est hors de doute que l’inconnu de Potsdam s’est tout permis, qu’il a lâché la bride à sa plume, qu’il a divulgué le secret de certaines confidences, qu’il a tout sacrifié au désir de brouiller les cartes. Les personnages les plus considérables et même les plus augustes sont mis en scène par lui avec une liberté dont ils ont le droit de se plaindre. Sans s’inquiéter des démentis qu’il était certain de s’attirer, il rapporte qu’un jour à Ems, dans l’épanchement d’une conversation intime, le ministre de l’intérieur, M. le comte Eulenburg, se permit de prononcer un jugement défavorable sur la politique ecclésiastique du chancelier de l’empire d’Allemagne. Il rapporte aussi que, le 1er septembre 1873, le comte Arnim, ayant obtenu audience de l’empereur Guillaume, eut la joie de lui entendre dire « que la rancune était le trait dominant du caractère de M. de Bismarck, qu’il était triste de constater cette faiblesse chez un homme à qui on devait tant, que son humeur rancunière avait déjà enlevé au service de l’état bien des hommes de mérite, M. de Goltz, M. de Thiele, M. Savigny, M. d’Usedom, M. Werther : — c’est maintenant votre tour, » aurait ajouté l’empereur.

Le même jour, paraît-il, le comte Arnim, déjà gravement malade, s’étant présenté chez M. de Bismarck, celui-ci, « se pâmant d’aise de se trouver en si bonne santé, ouvrit l’entretien sur un ton blessant de compatissante hauteur. » Le comte lui ayant demandé pour quel motif il le persécutait avec tant d’acharnement, le chancelier de l’empire lui répondit « par un torrent de reproches préparés d’avance, comme le