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de leur pays par la guerre civile vinrent se réfugier dans Avignon. L’un d’eux, Catalan d’origine, avait précisément essayé de faire dans sa contrée natale ce que MM. Roumanille, Mistral, Aubanel, faisaient si vaillamment au pays d’Arles et du comtat. Catalogne, Provence, c’étaient des sœurs autrefois, c’étaient du moins des compagnes d’enfance issues du même sang et parlant le même langage. L’homme que le hasard des révolutions envoyait ainsi aux bords du Rhône pour y renouer des liens rompus depuis des siècles était don Victor Balaguer, orateur et poète, qui a joué un rôle dans les cortès d’Espagne, qui est même devenu ministre sous un des gouvernemens nés de la révolution de 1868. Vous devinez la joie du poète catalan quand une circonstance fortuite le rapprocha des poètes provençaux. Une œuvre pareille avait cimenté d’avance leur amitié. Dès le premier mot, on se reconnut. Il lui sembla qu’une patrie nouvelle lui souriait. Plus tard, lorsque les événemens permirent à Victor Balaguer de repasser les Pyrénées, ses amis de Catalogne tinrent à honneur, non-seulement de remercier les Provençaux de l’accueil fait à leur compatriote, mais de célébrer ensemble leur fraternité reconquise. Ils chargèrent une main habile de ciseler une coupe d’argent qui fût le symbole de cette poétique alliance. Représentez-vous une coupe de forme antique dont le support est une tige de palmier. Autour de la tige se dressent deux jeunes filles à la taille élancée, au visage souriant, que désignent d’une façon assez claire des armoiries finement sculptées ; on reconnaît la Catalogne et la Provence. A la base sont inscrits deux vers de don Balaguer, et deux vers de M. Frédéric Mistral. Sur les parois, dans un cartouche où s’enlacent des lauriers, se lisent les mots suivans en langue catalane : Record ofert per patricis catalans als felibres provenzals per la hospitatat donata al poeta calala Victor Balaguer, 1867. La coupe fut envoyée aux. poètes provençaux, non pas à un seul, mais à tous, à tous les chanteurs, à tous les félibres ; c’est un terme de la vieille langue de notre midi, qui répond assez bien à celui de maître ès-arts, et que nos chanteurs avaient adopté depuis peu. A qui devait être confiée la garde du précieux écrin ? Évidemment au fondateur de l’école, au fils du jardinier de Saint-Rémy. Quand de fraternelles agapes réunissent les félibres, M. Roumanille n’oublie pas la coupe des Catalans, qui passe de mains en mains au milieu des chants de joie. Le plus beau de ces chants est celui que M. Mistral a composé, chant devenu populaire en Provence et que je retrouve dans les Iles d’or :

« Provençaux, voici la coupe qui nous vient des Catalans, tour à tour buvons ensemble le vin pur de notre cru. Coupe sainte et débordante,