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les îles d’or deviennent des îles de pierre. Montez en bateau, faites-vous conduire à ce point lumineux, que trouvez-vous ? La plupart du temps, des masses de rochers, quelquefois une nature aimable comme aux îles d’Hyères ou de grands souvenirs comme à Lérins. Rochers, nature, souvenirs, tout cela certes a son caractère et son prix, bien que l’étincelant mirage ait promis autre chose. Si l’île d’or a disparu, il reste toujours une île, un refuge, un lieu où prendre pied, un lieu que baigne la plus poétique des mers et d’où l’on peut voir à toute heure le rivage de notre France.

Cette belle image des îles d’or, évoquée à nos yeux par le titre du recueil de vers que vient de publier M. Frédéric Mistral, me représente dans un symbole exact les destinées de la nouvelle poésie provençale. Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit pas du mirage et de ses illusions ? L’épigramme serait bien inopportune au moment de citer un nom qui rappelle des succès poétiques aussi durables que brillans. Nous voulons seulement indiquer, comme M. Frédéric Mistral lui-même l’a fait à sa manière, que la nouvelle poésie provençale a eu des origines très simples, très modestes, et que, malgré les lueurs splendides qui en ont transfiguré le caractère, elle fera bien de s’y rattacher en toute franchise. Les îles d’or ! En inscrivant ces mots à la première page de son livre, le poète a un scrupule, et il s’empresse d’y répondre ainsi : « Ce titre, j’en conviens, peut sembler ambitieux, mais on me pardonnera quand on saura que c’est le nom de ce petit groupe d’îlots arides et rocheux que le soleil dore sous la plage d’Hyères. » Des îlots arides, des landes rocheuses, tel a été aussi le point de départ de cette poésie provençale de nos jours qu’a dorée bientôt une si éclatante lumière. Il est bon de se rappeler ce point de départ. C’est bien là, je n’en saurais douter, le sens des paroles que nous venons de transcrire. Ajoutons que, de ces îlots arides transformés aujourd’hui en verdoyantes oasis, il ne faut jamais perdre de vue la terre de la patrie, pas plus qu’on ne la perd des îles d’Hyères, des îles de Lérins, de toutes les îles d’or disséminées sur nos côtes de Provence. Si tel est le sens de ce titre, nous n’avons pas à excuser ici une image trop ambitieuse ; au contraire, nous félicitons le poète de l’inspiration doublement filiale qui le ramène avec tant de grâce dans sa véritable voie.

Où donc est-il né, cet art provençal du XIXe siècle ? Où, comment, par quels soins s’est épanouie la fleur charmante ? J’ai raconté ici même cette touchante histoire[1]. La poésie, qui a fini par charmer

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1859, l’étude intitulée la Nouvelle poésie provençale. MM. I. Roumanille, F. Mistral et Th. Aubanel.