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toutes les abbayes de ce pays c’était celle qui contenait les reliques les plus insignes, comme on disait, et les plus vénérables. A cette mention des reliques considérées comme titres d’importance, plus d’un de nos lecteurs sourira peut-être ; que voulez-vous ! chaque peuple a ses mœurs, dit, Voltaire, et moi j’ajoute : chaque siècle a aussi les siennes. L’histoire de Mozat, dont les moines n’eurent pas toujours une existence en harmonie avec ces pieux souvenirs, ne le prouve que trop. De toutes les provinces de l’ancienne France, l’Auvergne fut peut-être celle où le clergé, tant séculier que régulier, donna le plus de sujets de plaintes aux deux derniers siècles) nous avons à cet égard deux autorités irrécusables, l’évêque Fléchier et l’évêque Massillon.

Tout le monde a lu les mémoires de Fléchier sur les grands jours d’Auvergne, et nous verrons Massillon obligé d’avoir recours à toute son autorité pour maintenir la discipline ecclésiastique dans son diocèse. Il faut lire, dans le livre de M. Gomot, ce qui se passait à l’abbaye de Mozat sous le gouvernement de dom Antoine Rigoulet, prieur souverain en l’absence de l’abbé François d’Albon ; c’est une suite de scènes où le grotesque et l’odieux se combinent en proportions si égales qu’elle compose la mieux réussie des tragi-comédies. Deux moines qui, pour se venger de deux habitans de Mozat, se ruent sur eux, en pleine église, la dague au poing et vêtus en gentilshommes, — un prieur, grand chasseur et grand amateur de fauconnerie, qui, pour punir ce scandale, ne trouve rien de mieux que de tirer l’épée contre les coupables, lesquels soulèvent une révolte et l’assiègent dans sa chambre en lui criant qu’ils vont lui couper les oreilles, — ce même prieur, convaincu de faits scandaleux, déposé solennellement au nom du cardinal Mazarin, abbé de Cluny, en pleine église, cloches sonnantes, cierges éteints, puis revenant deux ans après, audacieusement, reprendre un beau soir possession de son ancienne autorité au mépris de sa destitution et de sa dégradation publiques, voilà quelques-unes des scènes que le livre de M. Gomot fait passer sous nos yeux. Ce sont les scènes mêmes des grands jours de Fléchier, et elles auraient pu figurer dans le dossier des célèbres assises, tant elles en sont rapprochées.


EMILE MONTEGUT.