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en commun, autant d’étages, autant de métiers isolés. On pourrait croire ces maisons bien préparées, s’il en fut, pour être des phalanstères en miniature, et pour être acquises et régies selon les principes de l’association et de la solidarité : eh bien ! elles sont au contraire acquises et régies selon les lois de la propriété la plus stricte et les principes de l’individualisme le plus marqué, car il arrive fréquemment qu’elles sont possédées par dix ou quinze propriétaires à la fois, chaque habitant s’étant rendu acquéreur d’un étage ou d’une moitié d’étage. Voilà des immeubles qui doivent être assez difficiles à vendre et sur lesquels il doit être malaisé d’emprunter par hypothèque.

Tarare est une petite ville neuve, propre, presque jolie, presque élégamment assise au pied de sa montagne, et qui porte sans trop de désavantage son nom coquet et tapageur comme un commencement de fanfare. Nous n’y avons trouvé que ce qu’il faut y chercher, des mousselines ; mais plusieurs des apprêts de ces légères étoffes nous ont réellement intéressé. Savez-vous par exemple en quoi consiste l’opération du flambage ? Lorsque la mousseline est tissée, elle présente sur toute son étendue une multitude de petits points de duvet dont on chercherait vainement à la débarrasser par d’autres moyens que celui du feu. Une machine met en mouvement deux rouleaux, dont l’un cède progressivement la mousseline et dont l’autre la reçoit et l’enroule progressivement aussi. Pour aller de l’un à l’autre, la mousseline passe au-dessus d’une rampe de becs de gaz qui flambent l’étoffe sans la roussir ni la brûler, opération bien simple, mais qui ne laisse pas que de causer un certain étonnement à cause de l’extrême légèreté de l’étoffe, et aussi parce que le mouvement qui la déroule est loin d’être rapide. L’apprêt qui consiste à appliquer sur l’étoffe les broderies qui forment les dessins de fleurs ou d’autres ornemens est aussi fort amusant. Un papier huilé sur lequel est pointillé le dessin qu’on veut imprimer est appliqué sur la mousseline ; sur le revers de ce papier, on passe un rouleau chargé d’une sorte d’encre grasse qui marque le dessin que des ouvrières exécutent en quelques instans en cousant tout le long des lignes des bandes d’étroits lacets qui font sur l’étoffe si peu de saillie qu’ils ont souvent l’air d’avoir été tissés avec elle. Vient ensuite l’opération la plus délicate, celle des jours ou grilles qu’il faut ouvrir pour marquer le calice d’une fleur, la séparation des pétales, les nervures de ses feuilles, etc. Deux ou trois coups d’aiguille pour déchirer l’étoffe et croiser les fils, et le tour est exécuté par nos ouvrières de Tarare avec une rapidité et une adresse qui dépassent de beaucoup la rapidité et l’adresse, déjà si grandes d’ordinaire, des mains féminines. Autant d’opérations diverses, autant