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enfans naturels soient confiés désormais à l’état, dût-il s’engager formellement à les élever avec le plus grand soin ; peut-être même en conclura-t-on que la plus mauvaise tutelle paternelle est préférable à la meilleure tutelle administrative.

Où donc est le remède, s’il n’est point dans l’extension de la tutelle administrative ? Il est dans l’accroissement du nombre des reconnaissances, et dans la diminution des naissances illégitimes, et il ne peut être que là. Or l’interdiction de la recherche de la paternité a eu pour résultat naturel de diminuer le nombre des reconnaissances, aujourd’hui réduites à un quatorzième, tout en contribuant, en dépit des démonstrations érudites et des comparaisons galantes de M. Zachariœ, à augmenter le nombre des naissances. S’il est vrai que les citadelles féminines tombent plus souvent par suite de la mollesse de la défense que par le fait de la vigueur de l’attaque, celle-ci ne devait-elle pas cependant se trouver sensiblement amortie lorsque l’assaillant était obligé de payer sa gloire ?

Est-ce à dire qu’il faille pousser les choses jusqu’à assimiler juridiquement la séduction au vol ? Nous n’irons pas si loin. Que l’honneur d’une jeune fille soit un capital, nous le voulons bien ; mais sauf les cas de violence et même de promesses mensongères, que le code ne laisse point sans répression[1], on ne voit pas pourquoi elle ne défendrait pas ce bien précieux comme elle défend au besoin sa montre et ses pendans d’oreilles. En cette matière délicate, le jugement rendu par le sage gouverneur de l’île de Barataria ne constitue-t-il pas un précédent que les théories morales et économiques de M. Alexandre Dumas n’ont point réussi à infirmer ? Mais si la fille séduite et même la fille-mère ne méritent pas tout l’intérêt que leur témoignait la convention, qui osera dire que la

  1. Des dommages-intérêts sont en ce cas fréquemment alloués par les tribunaux aux victimes de la séduction, en vertu de l’article 1382 du code civil, ainsi conçu : « Tout fuit quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » M. Jacquier cite au sujet de l’application de cet article aux cas de séduction trois arrêts de cassation des 10 mars 1808, 25 mars 1815 of 26 juillet 1864, arrêts repoussant des objections tirées de l’interdiction de la recherche de la paternité. « Attendu, est-il dit dans ce dernier, que l’arrêt, attaqué, loin d’autoriser la recherche de la paternité adultérine, a déclaré formellement au contraire que cette recherche serait positivement prohibée par la loi ; qu’il n’a fondé la condamnation prononcée que sur le préjudice causé à la fille G. par le fait de L., et sur l’engagement par lui pris de le réparer ; que, considérant cette clause d’obligation comme fondée sur l’article 1382 du code Napoléon, il a déclaré qu’on ne devait pas la rechercher dans des suppositions qui la rendraient nulle et contraire aux lois et aux bonnes mœurs ; d’où il suit que ledit arrêt n’a violé ni les articles 331, 315, 341 code Napoléon, ni aucune autre loi. » — Ch. Jacquier, Des Preuves et de la recherche de la paternité naturelle, ch. II, p. 27.