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pouvait passer sous silence. Il semblera peut-être singulier que l’autorité d’Ovide et l’opinion de Tirésias soient invoquées pour résoudre une question de droit, mais aucun témoignage ne doit être dédaigné dans une enquête bien faite, et d’ailleurs qui mieux que l’auteur de l’Art d’aimer a connu le cœur féminin ? Ajoutons que les observations particulières du savant professeur d’Heidelberg corroborent sur ce point délicat et décisif le témoignage du poète des Métamorphoses. Il est donc parfaitement établi de par Ovide et M. Zachariœ que c’est bien moins à la vigueur de l’attaque qu’à la mollesse de la défense qu’il convient d’attribuer la chuté des forteresses féminines. Et voilà pourquoi il faut interdire la recherche de la paternité.


IV

Il y a cependant dans la consultation du jurisconsulte d’Heidelberg une observation dont on ne saurait contester la justesse, c’est que la condition des enfans naturels restera toujours, quoi qu’on fasse, à bien des égards inférieure à celle des enfans légitimes. Ce qui leur manquera toujours, dit-il avec raison, et ce que rien ne saurait remplacer dans leur éducation, c’est le bon exemple des parens. Que sera-ce donc, ajoute avec une logique particulière cet adversaire radical de la recherche de la paternité, si les lois aggravent encore sans nécessité la position malheureuse et non méritée que leur fait leur naissance ? Sous ce rapport, peut-on du moins signaler quelque progrès ? Dans les mœurs, ce progrès existe sans aucun doute. Les injustes préjugés qui repoussaient jadis les enfans naturels en faisant retomber sur leurs têtes innocentes la responsabilité de la faute de leurs parens, ces préjugés se sont fort adoucis, s’ils n’ont point entièrement disparu. Nul, sauf peut-être dans les couches les plus basses et les plus grossières de la société, ne s’avise plus de reprocher à un enfant naturel l’irrégularité de sa naissance. L’expression même qui les désignait et qu’on leur jetait comme une flétrissure a presque cessé d’être usitée. Ce n’est plus un terme de bonne compagnie, et à l’exception de Napoléon, qui ne se piquait point de ces délicatesses, on s’abstenait déjà de l’employer dans la discussion du conseil d’état de 1802. D’un autre côté, toutes les carrières leur sont ouvertes ; ils ne sont plus obligés comme les bossus, les borgnes et les manchots, d’obtenir une autorisation spéciale de la cour de Rome pour être admis à la prêtrise ; mais sous d’autres rapports les institutions et les lois n’ont-elles pas aggravé leur situation au lieu de l’améliorer ? Dans l’antiquité, ils