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occidentale, mais ce rapport était assez éloigné pour avoir laissé au peuple égyptien sa physionomie distincte.

On a donc eu tort, ce semble, de vouloir assimiler le génie hébraïque au génie égyptien, et certains livres de la Bible à quelques-unes des compositions littéraires de l’époque pharaonique. C’est là, croyons-nous, un paradoxe qu’un esprit même ingénieux ne saurait faire accepter. On a pris pour singulier exemple le peu qui nous est resté de contes ou de romans écrits dans la langue des hiéroglyphes. Ni l’un ni l’autre des deux principaux récits que nous avons conservés ne paraît pourtant se prêter à de telles comparaisons. du grand roi longtemps sans en fan s invoque les dieux et obtient un fils, mais que menace, suivant la prédiction des sept déesses Hathors, la morsure, d’un chien, ou d’un serpent, ou d’un crocodile. Le jeune prince grandit enfermé ; du haut de sa tour, il aperçoit un chien qu’il admire et se fait donner. Il s’en va en Mésopotamie ; là réside une belle princesse prisonnière ; celui-là seul qui escaladera sa fenêtre escarpée la délivrera et l’épousera. Notre prince est l’heureux vainqueur ; il est sauvé par sa femme du serpent et par son chien du crocodile, qui allait le surprendre pendant son sommeil… Le manuscrit s’arrête là ; mais le lecteur devine bien que le chien favori va être l’instrument fatal. N’a-t-on pas ici un récit légendaire commun à beaucoup de civilisations, une histoire comme celle du fils de Crésus, confié si malheureusement aux soins d’Adraste, ou bien un conte comme celui de la Belle au bois dormant, tuée par la pointe de sa quenouille acérée ? Il n’y a nulle apparence d’analogies bibliques ; l’inévitable fatalité, c’est là un thème que connaissait familièrement l’imagination de tous les peuples antiques. — Le roman des Deux Frères a été plus facilement encore que celui du Prince destiné, comparé à certains morceaux de la Bible. On l’a voulu placer à côté de l’histoire de Joseph parce qu’il y est en effet question, au commencement, d’une coupable séduction tentée par une femme et vertueusement repoussée. Toute la première partie du récit égyptien est d’ailleurs empreinte en effet d’une couleur morale qui peut offrir quelque occasion de rapprochement, mais, croyons-nous, vague et superficiel. On se rappelle ce récit, fort curieux d’ailleurs. Il y avait deux frères, Anepou et Bataou. La femme du premier sollicite au crime son beau-frère, qui prend la fuite ; elle le calomnie donc auprès de son mari, qui le poursuit pour le tuer. Au moment où il va être atteint, Bataou invoque le dieu Soleil, et aussitôt un large ruisseau coule et sépare les deux frères. Ce miracle et les protestations que Bataou prononce d’une rive à l’autre détrompent Anepou, qui de retour chez lui tue sa femme. — Voilà, il est vrai, du surnaturel, et qui ne sort pas du cadre moral où se renferme d’ordinaire la littérature hébraïque. Le