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guerre et la peste sous la direction des cheiks-el-beled, au nombre de quatre par village. Chaque village était tenu d’ensemencer en coton une superficie de terrain déterminée, et tous les produits du sol sans exception, en dehors du grain destiné à la nourriture des habitans et du fourrage pour les animaux, arrivaient dans les shunas ou magasins du gouvernement, disséminés à l’intérieur, après quoi le vice-roi faisait créditer le village à un prix arbitraire tout à son avantage, et vendait à ses agens commerciaux, aux maisons d’Alexandrie ou à la consommation, les marchandises accumulées dans ses entrepôts. On voit que Méhémet-Ali inaugura le régime de la vice-royauté omnipotente du prince gouverneur, cultivateur et marchand. La tradition ne s’en est ni perdue, ni altérée. Les comptes de chaque village, tenus par des scribes cophtes, étaient arrêtés chaque année, et le surplus des recelés, tous frais, avances, etc., déduits, passait aux intéressés, qui souvent restaient débiteurs de l’état.

De ce système, qui dura jusqu’au règne d’Abbas-Pacha, il résultait pour le coton une culture mieux surveillée, moins pratique peut-être, mais plus régulière qu’aujourd’hui, d’autant plus uniforme que les superficies affectées à cette plante étaient moins considérables. Enfin les instructions transmises aux moudirs ou gouverneurs de provinces enjoignaient à ceux-ci de faire soumettre les semences destinées à la reproduction à un examen scrupuleux, et de ne les prendre que parmi celles tombées d’un duvet qui aurait été séché au soleil et non au four, comme les sept huitièmes de la récolte l’étaient alors. Les graines ainsi choisies et qui sortaient des premières noix mûries au soleil d’août après une large irrigation d’eau nouvelle, parfaitement saines, étaient très propres à l’ensemencement de terres encore riches et bien travaillées. D’ailleurs la dégénérescence plus ou moins lente de toute graine reproduite dans le même milieu climatérique et hygrométrique se trouvait çà et là combattue, sinon arrêtée, par le soin que prenaient les nazirs des shiffliks vice-royaux de dépayser les semences à chaque période quinquennale.

Aucun choix ni classement du coton n’avait lieu sur la plantation même, d’où le mako, mis en sacs non pressés, au fur et à mesure de l’égrenage, s’en allait dans les shunas provinciales. Là, les balles pesées étaient ouvertes et classées suivant la finesse, la force et la netteté de la fibre : hàl-hàl (toute première), hàl (première), awsât (seconde ou moyenne), dûn (bas ou troisième). Il n’y avait pas d’autres assortimens admis ni même demandés, et les classifications anglo-françaises, qui parfois n’aboutissent qu’à d’inextricables chicanes, étaient ignorées. Les premières quantités livrées aux shunas formaient l’élite de la récolte ; elles provenaient de la cueillette des mois d’août et de septembre, la plus mûre et dont