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aujourd’hui les plus dégradées. Pour Whately, l’homme primitif fut nécessairement pasteur et agriculteur.

Ces assertions sont assez contestables. L’état stationnaire des indigènes de la Nouvelle-Zélande ne prouve rien : une période de cent vingt-sept ans est beaucoup trop courte pour produire un changement appréciable de condition chez les sauvages. Plusieurs faits d’ailleurs établissent jusqu’à l’évidence que ceux-ci sont capables de progrès. De plus, si l’homme primitif avait connu l’agriculture et l’élevage des troupeaux, comment expliquer que, chez un grand nombre de peuplades, deux arts aussi utiles se soient perdus ? Les indigènes de l’Australie, ceux des deux Amériques, ignoraient l’un et l’autre. Dira-t-on que leurs ancêtres plus civilisés ne les ignoraient pas, mais qu’une lente décadence en a peu à peu effacé jusqu’au souvenir ? En ce cas, on trouverait aujourd’hui à l’état sauvage, en Amérique et en Australie, des troupeaux de bestiaux, descendans de ceux qui auraient été importés à l’origine ; on trouverait tout au moins des squelettes attestant l’existence antérieure d’animaux domestiques, bœufs, moutons, etc. ; or, ni en Australie ni en Amérique, on n’en a jamais découvert aucun. De même nul doute qu’on n’eût découvert des variétés de plantes sauvages témoins de l’antique présence des céréales, si l’agriculture avait autrefois fleuri sur ces deux continens.

Telles sont les solides argumens de M. J. Lubbock contre la thèse de l’archevêque Whately. Le duc d’Argyll maintient les conclusions de Whately, mais en les appuyant de meilleures preuves. Il établit une distinction, heureuse selon nous, entre le degré de savoir et le degré de moralité des races sauvages. Il admet que le savoir a pu à l’origine être à peu près nul et l’état industriel rudimentaire, il abandonne l’hypothèse peu défendable d’un peuple primitif agriculteur et pasteur ; mais il soutient que, dès le premier jour, l’humanité fut pourvue d’idées morales assez pures ; elles furent alors, selon lui, comme elles le sont encore, les conditions essentielles de tout progrès.

Les coutumes barbares et immorales, l’absence de toute religion, que constatent chez certains peuples sauvages les relations des voyageurs, s’expliquent donc uniquement par une décadence plus ou moins profonde. Ce sont les signes et les effets d’une déviation dans le développement humain, et non les caractères naturels d’une première et universelle période de ce développement. Quant aux causes qui ont pu abaisser au-dessous même du niveau primordial ces races déshéritées, le duc d’Argyll les cherche dans l’influence funeste d’un milieu inhospitalier. Reléguées par l’invasion et la conquête à l’extrémité des continens, parmi les rochers volca-