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évolutionniste : la psychologie comparée des races, depuis l’homme primitif jusqu’à l’Européen cultivé du XIXe siècle, doit devenir un des chapitres les plus importans de la science de l’âme. Nous sommes en un mot pour une application aussi large que possible de la méthode expérimentale, qui, entre les mains de Jouffroy et de ses disciples, n’a guère eu d’autre objet que l’étude du moi individuel. À cette condition seulement, les résultats auront toute la valeur d’inductions légitimes et seront à l’abri des chances d’erreur auxquelles une expérience dont la base est trop étroite a tant de peine à se soustraire.


I.

Pour surprendre à leur origine les idées vraiment essentielles à l’esprit humain, il semble que le moyen le plus sûr, ce soit d’observer les enfans ; mais on s’aperçoit bien vite que la chose n’est pas aussi facile qu’elle en a l’air. Si l’on veut en effet que les observations aient toute la valeur requise, il faut qu’elles portent sur la première enfance, qu’elles saisissent l’homme en quelque sorte au moment où il vient au monde, où nulle idée d’importation étrangère n’a pu encore pénétrer dans son esprit. Or une telle condition est de tout point irréalisable. Aucun souvenir ne peut remonter jusque-là, et les vagissemens du nouveau-né ne nous disent rien de ce qui se passe dans le mystère de son intelligence endormie. Plus tard, quand le premier langage traduira au dehors les premiers essais de la pensée, cette pensée, tout enveloppée de sensations, presque inconnue pour elle-même, sans nulle empreinte de personnalité, sera déjà le reflet plus ou moins fidèle des pensées qui l’entourent et la sollicitent ; l’homme est autrui avant d’être lui-même. Ajoutez que, quelque disposé qu’on soit à ne pas exagérer le rôle de l’hérédité, il est difficile de prouver que l’enfant n’apporte pas, imprimées pour ainsi dire dans les plis de son cerveau, quelques-unes des dispositions intellectuelles de ses parens, de ses ancêtres, de sa race tout entière.

L’enfant ne nous apprend donc rien sur les idées, les dispositions mentales de l’humanité naissante. Aussi a-t-on fini par s’adresser aux peuples sauvages. On croyait saisir là le genre humain près de sa source ; on avait la rare fortune de rencontrer dans des corps adultes des intelligences qu’on se figurait vierges de toute idée factice, de toute croyance artificielle, ayant de plus à leur service des langues qu’il n’était pas impossible d’interpréter. Les sauvages devinrent bientôt les oracles d’une certaine philosophie.

Locke fut, à notre connaissance, le premier artisan de leur crédit.