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en jouir. » Deux ans après, un Anglais, William Hutton, exprime un mécontentement qui touche à l’indignation. Le guide qui le conduisit, avec environ dix autres personnes, marchait comme au pas de course ; il fallait suivre. Hutton lui posa une question ; la réplique fut faite d’un tel ton qu’il ne se risqua plus à ouvrir la bouche, il était remis à sa place, « La compagnie comprit la leçon. On se tut et on se bâta. Les plus hardis se parlaient bas… J’avais le cœur serré de penser à tout ce que je perdais faute de quelques renseignemens. En trente minutes environ, nous finîmes notre voyage silencieux à travers cette demeure princière, voyage qui aurait bien demandé trente jours… Le Musée-Britannique était ce que j’avais le plus désiré voir à Londres ; j’en sortis dégoûté et révolté… Le gouvernement s’est rendu à grands frais acquéreur de cette rare collection ; il a pensé qu’elle ferait honneur à la nation et qu’elle l’instruirait ; le sincère récit de ma visite au musée montrera jusqu’à quel point ces intentions sont réalisées. »

Hutton avait raison. Dans ces conditions, la bibliothèque, les suites d’histoire naturelle et de médailles pouvaient profiter à quelques travailleurs spéciaux ; en revanche, le gros du public n’en retirait pour ainsi dire aucun avantage. Or le vrai rôle national d’un musée, c’est moins peut-être de fournir des matériaux et des instrumens d’étude à un petit nombre de savans que de contribuer à l’éducation générale, d’éveiller par les yeux, chez un peuple, le sentiment du beau et le désir de l’instruction. Cette foule qui, à Paris, s’entasse le dimanche dans les salles du Louvre et qui se presse aux expositions annuelles n’y fait-elle point, sans le savoir, une sorte d’apprentissage ? La fréquentation habituelle des galeries n’a-t-elle pas beaucoup servi à développer chez nos ouvriers ce goût qui les distingue et auquel l’industrie parisienne doit sa renommée ? Des collections comme celles de notre Jardin des Plantes laissent des impressions d’un autre genre, mais qui ne sont ni moins vives ni moins utiles. Que de curiosités, qui voudront plus tard être satisfaites, elles ont suscitées dans l’esprit des jeunes gens, parfois même d’enfans ! Sans cette occasion et ce stimulant, combien de vocations se seraient peut-être toujours ignorées elles-mêmes !

Tant que les portes du Musée-Britannique ont été ainsi à demi closes et comme entr’ouvertes à regret, il n’a exercé presque aucune influence sur la civilisation anglaise, il n’a eu, si l’on peut ainsi parler, qu’une existence purement officielle et théorique, il n’a point vécu. L’état restait donc, jusqu’alors, bien au-dessous de sa tâche ; de ce capital intellectuel, déjà considérable, il ne tirait que de bien maigres fruits ; il semblait assez mal répondre aux vœux