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de soixante personnes par jour, il fallait parfois attendre bien plus longtemps. Voici la copie d’une affiche à la main qui fut placardée à la porte du musée dans un de ces momens d’encombrement : « Musée-Britannique, 9 août 1776. — Ceux qui se sont fait inscrire au milieu d’avril n’ont pu être encore satisfaits. Les personnes inscrites sont priées d’envoyer voir chaque semaine chez le concierge quel rang elles occupent sur la liste. » Ces retards avaient donné naissance à une industrie, spéciale ; il y avait des gens qui se faisaient délivrer des billets pour les vendre ensuite à des provinciaux ou à des étrangers pressés.

Avait-on enfin obtenu, de manière ou d’autre, le précieux billet, on se présentait au musée, et l’on attendait dans le vestibule jusqu’à ce qu’il y eût une dizaine de personnes réunies. La bande entrait alors ; elle était conduite par un employé à travers les galeries. C’est ainsi que l’on voit aujourd’hui les chapelles qui entourent le chœur de l’abbaye de Westminster ; or quiconque a encore devant les yeux la face ennuyée du bedeau et dans l’oreille sa voix monotone et chantante sait qu’il y a là de quoi dégoûter le plus curieux, agacer le plus patient. En moyenne, la visite durait une heure ; or, d’après un plan de Montagu-house que nous offre M. Edwards, il y avait plus de vingt salles, dont trois pour les antiquités et les médailles, quatre pour l’histoire naturelle, et le reste pour les imprimés, les manuscrits et les chartes. Avec de légers changemens, ces règles demeurèrent en vigueur jusqu’en 1805.

De piquans témoignages contemporains, qu’a recueillis et rapprochés l’historien du musée, attestent les regrets que laissaient des visites aussi incommodes, aussi précipitées. En 1765, un Français, Jean Grosley, se félicite de l’obligeance avec laquelle deux des conservateurs donnent toutes les explications qu’on leur demande ; « mais cette courtoisie même, ajoute-t-il, engage l’étranger à se contenter d’un coup d’œil jeté à la hâte sur les objets ; on craint d’abuser. Pour que les intentions du parlement aient leur plein effet, il faudrait que le public fût admis plus libéralement et que pendant les heures qui lui sont destinées il y eût un gardien présent dans chaque salle, de manière qu’elles pussent être toutes ouvertes à la fois. » En 1782, un Allemand, Charles Moritz, de Berlin, est plus sévère. « J’ai regret de le dire, ce que j’ai vu, ce sont les salles, les vitrines, les tablettes, mais non le musée lui-même, tant nous fûmes poussés rapidement d’une pièce dans une autre. La compagnie avec laquelle je faisais cette visite était très mêlée ; il y avait des personnes des deux sexes, et quelques-unes, si je ne me trompe, d’assez basse condition. C’est que, le musée étant la propriété de la nation, chacun a, comme on dit ici, le même droit que son voisin à