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prévint en toute hâte le mourant. « Vous venez trop tard, dit-il au messager, mon cœur est brisé. » Quelques jours après, le 6 mai 1631, il expirait.

La passion de celui que la mort venait de frapper n’avait rien eu de puéril ni d’égoïste. Ce qu’il avait recherché pendant près de quarante ans, ce n’était point ces raretés qui font la joie des bibliomanes, c’était ce qui pouvait le mieux instruire ses concitoyens de ce qu’ils étaient le plus intéressés à savoir. Tous ces documens qu’il avait réunis, c’était l’histoire authentique de l’Angleterre ; c’était donc en même temps comme le dossier du grand procès que l’Angleterre soutenait contre ses rois, c’était les titres retrouvés de la nation.

La bibliothèque de sir Robert Cotton, par son caractère historique et national comme par la libéralité qui l’ouvrait à toutes les recherches, avait été déjà, comme une sorte de bibliothèque publique placée dans la capitale de l’Angleterre. Le fils du fondateur, sir Thomas, au milieu de la guerre civile qui menaça son repos et le mit parfois en danger, réussit pourtant à la conserver intacte ; Il fit plus : une fois la paix rétablie, il l’entretint et l’augmenta. Le troisième héritier du titre et des biens de la famille, peut-être embarrassé d’une collection qui tenait beaucoup de place et demandait beaucoup de soin, se résolut à en faire don au pays. Ce don fut accepté par acte du parlement, en 1700, sous les clauses et dans les termes qui suivent : « La bibliothèque cottonienne sera conservée, au nom de la famille, pour l’usage et l’avantage du public. Par conséquent, suivant le désir dudit sir John Cotton et à sa requête, ladite maison patrimoniale et aussi ladite bibliothèque, avec les monnaies, médailles et autres raretés qui s’y rattachent, formera une fondation perpétuelle représentée par des trustees qui se succéderont sans interruption. »

Nous avons conservé ici le mot anglais trustee, et nous l’emploierons souvent dans le cours de ce travail. C’est que, pour ce mot, comme pour beaucoup d’autres termes du droit anglais, il n’y a point d’équivalent en français ; il faudrait se contenter d’à-peu-près, tous plus ou moins inexacts. Le trustee anglais est un fidéi-commissaire, propriétaire ou mandataire, suivant les cas, à charge de conserver et de rendre sous le seul contrôle du grand chancelier. En Angleterre, on peut faire des fondations en léguant ou en donnant à des trustees. En France, il faut léguer ou donner à un établissement ayant capacité pour recevoir, c’est-à-dire reconnu par le gouvernement comme établissement public ou d’utilité publique. En Angleterre au contraire, par la simple volonté du testateur, la fondation devient une personne morale qui se soutient en quelque sorte par elle-même.