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réunir dans sa galerie une foule de documens qui, de nos jours, seraient regardés comme propriété publique. Est-il vrai qu’il se soit parfois approprié des documens sur lesquels il n’avait d’autre droit que sa passion ? Ne lui arriva-t-il point d’emprunter et de ne jamais rendre ? On l’en a beaucoup accusé ; mais sied-il de se mettre à ce propos en grands frais d’indignation ? Un tribunal aurait peut-être à condamner Cotton, ne fût-ce qu’à restitution ; mais de tous les historiens qui ont consulté au musée les riches recueils formés par ses soins, pas un qui ne protestât, au moins tout bas, contre l’arrêt. Il convient en tout cas de réclamer le bénéfice des circonstances atténuantes. C’est grâce à ces larcins, selon toute apparence, qu’ont été sauvées les pièces ainsi détournées. Cotton était « d’ailleurs bien connu ; il ne pouvait se résoudre à se séparer d’un manuscrit curieux. C’était aux prêteurs à prendre leurs précautions. « Ne nous induisez pas en tentation,  » dit à Dieu le chrétien dans l’oraison dominicale ; or prêter un objet rare à un collectionneur, c’est soumettre le malheureux à une épreuve vraiment au-dessus des forces humaines. Tant pis pour l’imprudent qui tente ainsi son prochain !

La bibliothèque de Cotton était donc devenue le dépôt le plus riche et le mieux classé de pièces ayant trait au passé de l’Angleterre ; c’étaient comme des archives publiques appartenant à un particulier. Les grands seigneurs y faisaient des recherches pour établir leur généalogie ; s’agissait-il de quelque dispute de préséance ou de quelque conflit entre des autorités rivales, c’était à Cotton que l’on allait demander des précédens historiques. Plus d’une fois la couronne et ses ministres sollicitèrent ainsi de Cotton des avis motivés sur des questions de droit international. Ce fut là, pendant longtemps, la source de vives jouissances pour l’heureux propriétaire de ces trésors ; mais ce fut aussi la cause des chagrins qui attristèrent ses derniers jours. Le moment était venu où le parlement entreprenait de resserrer dans de plus étroites limites la puissance royale ; les Stuarts n’avaient pas, pour s’imposer au pays, le prestige et l’énergique ascendant d’un Henry VIII ou d’une Elisabeth. Dans la lutte obstinée qui s’engagea bientôt après l’avènement de Charles Ier, les chefs de l’opposition se placèrent sur le terrain de ce que nous appelons le droit historique. Or les principaux de ces personnages, Elliot, Rudyard, Pym, étaient intimement liés avec Cotton, et celui-ci connaissait trop bien l’histoire de son pays pour n’être pas fermement convaincu qu’elle déposait tout entière en faveur du droit imprescriptible que réclamait le peuple anglais de ne payer d’impôts que ceux qui auraient été librement votés par ses représentans. Il ne prit point lui-même une part très