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livres ; dans sa courte vie, par de larges et judicieuses acquisitions, il augmenta singulièrement la vieille bibliothèque privée des rois d’Angleterre. Quant aux princes de la maison de Hanovre, on sait combien ils avaient l’esprit épais et fermé. Ils ont eu l’honneur de fournir aux partisans de la monarchie constitutionnelle un thème très précieux ; on a insisté sur leur médiocrité, leur ignorance, leur égoïsme, leurs vices grossiers, et on en a rapproché la prospérité dont l’Angleterre a joui depuis la mort de la reine Anne, et les grandes choses qu’elle a faites pendant cette période. Nous n’avons point à discuter ici l’argument ; ce qui est certain, c’est que de pareils souverains n’avaient pas l’intelligence assez cultivée, assez fine, assez ouverte, pour s’éprendre de ce noble luxe et pour songer à doter leur patrie adoptive du superflu, chose si nécessaire. Seul de toute sa race, le malheureux George III, avant que la folie ne fût venue obscurcir et troubler sa pensée, avait fait preuve sinon d’une haute portée d’esprit et d’une grande distinction, tout au moins d’une curiosité assez éclairée et d’une réelle bonne volonté ; il s’intéressait aux voyages et aux découvertes des grands navigateurs contemporains ; il aimait, il respectait les livres, et même il les ouvrait et les lisait quelquefois.

Quant au parlement, il ne se montra, pendant toute cette période, guère plus sensible aux avantages à retirer de la fondation des bibliothèques et des musées. Les hommes d’état qui le dirigèrent pendant tout le XVIIe siècle eurent une autre tâche à remplir ; il leur fallut, à travers toute sorte de vicissitudes et de dangers, lutter contre la prérogative royale, faire triompher la liberté politique et religieuse. Leurs successeurs, au siècle suivant, ne furent pas moins occupés ; ils eurent à fonder la succession protestante et à fournir aux dépenses de toutes ces grandes guerres que l’Angleterre soutint en Europe et en Amérique, dans l’Inde, en Égypte et sur toutes les mers, depuis les dernières années de Louis XIV jusqu’à la chute de Napoléon. Parmi les efforts et les anxiétés de pareilles luttes, ils sont excusables d’avoir négligé les intérêts de la science et de l’art ; personne en Angleterre ne les accusera d’avoir perdu leur temps.

N’est-il pas naturel d’ailleurs que ces curiosités et ces goûts ne se soient répandus en Angleterre que bien après être devenus très communs sur le continent ? Ces bibliothèques, ces musées qui jouent un si grand rôle dans la vie intellectuelle des peuples modernes, c’est le génie de la renaissance qui les a fondés ; or, dans sa période héroïque, la renaissance fut surtout italienne et française. C’est à Florence et à Rome qu’après bien des siècles où ce culte n’avait plus eu d’autels on vit renaître cette adoration émue de la beauté, ce sentiment exquis de la forme vivante, qui avait été l’honneur et