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LE DERNIER DES VALERIUS.

je n’eus pas le courage de retourner à la villa. Comment devais-je l’accueillir? Quelles mesures prendre? Que faire pour assurer le bonheur et sauvegarder la dignité de Marthe? J’errai à travers les rues de Rome en me posant ces questions, et une après-midi je me trouvai dans le Panthéon. Afin d’échapper à une averse printanière, je m’étais réfugié dans le vaste temple, que ses autels chrétiens n’ont qu’à moitié transformé en église. Aucun édifice romain ne conserve une empreinte plus profonde des siècles passés, — aucun ne démontre d’une façon plus claire que ces anciennes croyances où nous ne voyons plus que des fables monstrueuses ont été des réalités. L’immense dôme semble renvoyer à l’oreille un vague écho du culte oublié, comme un coquillage ramassé au bord de la mer nous apporte la rumeur de l’océan. Sept ou huit personnes étaient éparpillées devant les divers autels; une autre se tenait seule au centre de l’édifice, sous l’ouverture pratiquée dans la coupole. Dès que je m’approchai, je reconnus le comte. Il était planté là, les mains derrière le dos, contemplant les nuages chargés de pluie, qui passaient au dessus du grand œil-de-bœuf, et regardant ensuite le cercle humide formé sur les dalles.

Le pavage du Panthéon, à cette époque, était raboteux, disjoint et magnifiquement vieux. L’ample espace exposé aux intempéries des saisons restait aussi couvert de moisissure et de taches verdâtres que le sentier d’un jardin mal entretenu. Une herbe microscopique poussait dans les crevasses et scintillait sous les gouttes de pluie. Le grand courant d’air qui passait par la voûte ouverte dissipait l’odeur de l’encens ou des cierges, établissant ainsi des rapports plus directs entre les fidèles et la nature extérieure, — ou du moins le comte ressentait une impression de ce genre. Son visage révélait une extase indéfinissable, et il était trop absorbé dans sa contemplation pour s’apercevoir de ma présence. Au dehors, le soleil luttait bravement contre les nuages; néanmoins une pluie fine continuait à tomber et descendait sous forme de vapeur illuminée dans les pénombres du vieux sanctuaire. Valérie la suivait dans sa descente avec le regard fasciné d’un enfant qui voit couler l’eau d’une fontaine. Il se détourna enfin pour se diriger vers un des autels, pressant une main sur son front. Il ne fit qu’une courte station, contempla un instant ce coin de l’église et tourna soudain sur lui-même pour regagner la place qu’il occupait d’abord. Ce ne fut qu’alors qu’il me vit. Il fut sans doute frappé du regard que je fixais sur lui; il s’avança aussitôt vers moi et me tendit cordialement la main. Si je ne me trompe, il était en proie à une agitation nerveuse qu’il s’efforçait de maîtriser.

— C’est le plus beau monument de Rome, dit-il. Cela vaut mieux