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LE DERNIER DES VALERIUS.

il laissait dans un triste état de délabrement. — Elle est tout aussi amoureuse de la villa que du comte, me dit la mère de Marthe ; elle songe à convertir son futur, rien de mieux ; mais elle songe surtout à restaurer la villa.

Les tapissiers se mirent à l’œuvre bien avant le jour fixé pour le mariage. Il fallut remeubler les salons et ratisser les allées du parc. Marthe fit de nombreuses visites d’inspection durant ces préparatifs. Un jour, elle entra dans mon atelier avec une mine consternée. Elle venait de trouver les ouvriers en train de gratter le sarcophage qui ornait la grande avenue, le dépouillant de sa couche de mousse, lui enlevant la sainte moisissure des siècles ! C’est ainsi qu’ils entendaient embellir l’antique villa ! Elle leur avait ordonné de transporter le pauvre monument dans le coin le plus humide de la propriété, car, après le sourire de son fiancé, — sourire si lent à venir, si lent à disparaître, — ce qu’elle admirait le plus, c’était le teint rouillé des vieux marbres. Quant à la conversion du comte, elle s’opérait plus lentement que le reste, et, à vrai dire, Marthe déploya peu de zèle dans cette dernière entreprise. Elle aimait son futur au point de croire que nul changement ne le rendrait meilleur. De son côté, il eut le bon goût de n’exiger d’elle aucun sacrifice de ce genre, et je fus frappé un jour de l’heureuse promesse d’une scène dont le hasard me rendit témoin. C’était un dimanche, à Saint-Pierre, durant les vêpres. J’avais rencontré là ma filleule qui se promenait radieuse au bras de son fiancé. La foule se tenait groupée devant l’autel, et la nef restait presque déserte. De temps à autre, la voix des chantres m’arrivait pour se perdre avec lenteur dans l’atmosphère alourdie par les parfums qui s’échappaient des encensoirs. Au moment où je l’aperçus, Marthe, la tête rejetée en arrière, contemplait la magnifique immensité de la voûte et du dôme. Je compris qu’elle se trouvait dans cette disposition d’esprit où le sentiment de l’existence gravite autour d’un centre unique, et que son admiration pour les splendeurs de l’art se confondait avec son amour. Les fiancés s’arrêtèrent près des sombres confessionnaux, à peine suffisans pour le nombre des pécheurs repentis, et Marthe parut adresser à son compagnon quelque protestation passionnée. Peu d’instans après, je les rejoignis.

— Ne pensez-vous pas comme moi, me dit le comte, qui ne m’adressait jamais la parole qu’avec une déférence affectueuse, qu’avant d’épouser une si pure et si douce créature, je ferai bien d’aller m’agenouiller là-bas sur l’heure et de confesser tous les péchés que j’ai pu commettre ?

Marthe le regarda d’un œil où le reproche se mêlait à l’admiration. Elle semblait affirmer que son prétendu s’accusait à tort ou