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ait réagi contre leur œuvre et l’ait gâtée en maints endroits, la partie principale en a survécu; le margrave est demeuré le personnage essentiel de la Marche.

Placé au milieu de la plaine germano-slave, sur les deux rives de l’Elbe, le Brandebourg n’est protégé, mais aussi n’est contenu par aucune frontière. Le soin même de sa sécurité l’excite à s’agrandir. Comme il ne peut s’étendre du côté de l’Allemagne, où toutes les positions sont occupées, il prend corps à l’est, aux dépens des petites principautés slaves désorganisées. Pendant qu’il s’allonge en plaine, entre la montagne et la mer, ses flancs découverts sont menacés de toutes parts; mais les margraves, riverains d’un fleuve, sont naturellement tentés de le remonter et de le descendre. Ils atteignent la montagne, car les acquisitions qu’ils ont faites en Lusace et Misnie, dans la Saxe actuelle, portent leurs frontières jusqu’aux monts de Bohême. Un moment même, la Silésie est entamée par eux; quatre jours avant sa mort, Waldemar se faisait promettre par les ducs de Glogau les territoires de Schwiebus, Zullichau, Crossen. Enfin à plusieurs reprises ils touchent la mer; ils ont possédé Dantzig et convoité Stralsund : sans cesse en mouvement, achetant tout ce qui est à vendre, prenant tout ce qui est à prendre, ils annoncent les Hohenzollern, qui suivront, pour aller plus loin, toutes les routes où ils ont marché.

Dans cet état besoigneux, aucune qualité de luxe. Quelques-uns des margraves ascaniens s’abandonnent aux tentations des pompes chevaleresques, mais leur trésor obéré les avertit qu’ils ont fait fausse route. Tous d’ailleurs n’ont pas, comme Waldemar, prodigué leurs marcs d’or. Un jour le margrave Jean s’avisa que la guerre a des fortunes diverses, et qu’il faut dans la prospérité songer aux temps difficiles; il remplit d’or un grand coffret qu’il alla porter dans l’église de Neu-Angermünde. On montre encore aujourd’hui le tilleul que le prudent margrave avait planté pour marquer l’endroit où fut pratiquée la cachette qui a reçu le premier trésor de guerre du Brandebourg. Les Hohenzollern ont imité le margrave Jean, et non le brillant Waldemar : pour un qui a fait coudre des boutons d’or sur son habit, comme le premier roi, combien ont fait servir, comme le roi actuel, sur leurs habits neufs leurs vieux boutons de cuivre! Ne cherchons pas non plus dans ce pays le luxe intellectuel : les poètes et chanteurs de la cour ascanienne venaient du dehors, et cette cour, comparée à celle d’un landgrave de Thuringe, où l’on tenait école de chevalerie, devait paraître aussi barbare que la cour d’un roi franc de Cambrai, comparée à celle d’un roi wisigoth de Toulouse ou de Tolède. De même Frédéric-Guillaume, le second roi de Prusse, sorte de caporal grossier, habitué de cabaret et de