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appelait « monsieur; » il leur disait non pas « votre dilection, » comme il est d’usage entre personnes de conditions princières, mais simplement vous. L’électeur Joachim Ier résume en quelques mots ses droits et les devoirs des évêques : « J’ai, dit-il, trois évêques dans mon pays, qui ne doivent de services qu’à moi. » Aucun autre exemple ne saurait mieux montrer combien est grande la différence entre les institutions de la Marche et celles de l’Allemagne, où les évêques avaient partout l’indépendance que donnait l’immédiateté, où les plus belles des principautés souveraines étaient en des mains ecclésiastiques. La hiérarchie et la discipline instituées à l’origine ne se sont donc pas perdues en traversant le siècle lamentable qui suivit l’extinction de la famille ascanienne, et les Hohenzollern, à leur arrivée, en ont retrouvé la tradition vivante.


IV.

L’histoire des origines brandebourgeoises éclaire toute l’histoire de la Prusse : les prédécesseurs des Hohenzollern annoncent et expliquent les Hohenzollern eux-mêmes. N’a-t-on pas reconnu les traits principaux de la monarchie prussienne dans la Marche, telle qu’elle a été créée d’abord par les margraves ascaniens, puis modifiée par les circonstances? Des libertés provinciales, des libertés municipales, une nombreuse petite noblesse toute militaire, des seigneuries investies du patronat et de la juridiction sur les campagnes, ce mélange singulier du féodal et du moderne, n’est-ce pas, avec les changemens inévitables apportés par le temps, le Brandebourg d’aujourd’hui? Bien des contradictions qui étonnent l’observateur contemporain de la monarchie prussienne disparaissent à la lumière de l’histoire. Pourquoi le roi de Prusse, tout ensemble chef constitutionnel de l’état et monarque de droit divin, concilie-t-il difficilement les devoirs que lui impose la première qualité avec les droits qu’il tient de la seconde? C’est que les institutions parlementaires, nées d’un accident révolutionnaire, sont toutes nouvelles dans ce pays. Le parlement unique et national date de 1848 ; seuls, les états provinciaux, dont nous avons vu l’origine, ont pour eux la tradition historique : l’unité de la monarchie était encore, il y a trente ans, représentée par le roi seul, c’est-à-dire par le successeur des margraves.

Personne plus que ces margraves n’a mérité le nom de landesvater ou père du pays, que les princes allemands aiment à se faire donner par leurs sujets. La Marche a été créée par les Ascaniens, mais plusieurs fois après eux elle a failli périr : le Grand-Électeur,