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Brandebourg, les fondateurs de villes ont demandé des libertés en compensation des difficultés et des périls qu’ils avaient à vaincre; mais ces franchises avaient des limites, les bourgeois comme les paysans demeuraient les sujets des margraves, et leur indépendance dut se concilier avec la subordination envers leur seigneur.

L’église subit la loi commune dans la Marche. Il était naturel qu’elle tint une grande place dans un pays en partie conquis sur les païens par les armes allemandes. Les moines de Prémontré, disciples de saint Norbert, archevêque de Magdebourg, ceux de Cîteaux, disciples de saint Bernard, les uns et les autres dans le premier élan de la jeunesse, s’établirent sur la rive droite de l’Elbe pour y prier, y prêcher et y labourer; mais en Brandebourg le clerc, malgré les services rendus par lui, dut céder le pas aux laïques. Depuis le margrave jusqu’au dernier paysan, chaque habitant de la Marche, qu’il eût contribué à l’œuvre commune par le fer de l’épée ou par le fer de la charrue, avait conscience des services qu’il avait rendus, et le margrave plus qu’aucun autre. Il y eut un conflit entre lui et les évêques, ou, pour parler la langue moderne, entre l’état et l’église, et l’état l’emporta. L’objet en fut la dîme; les Ascaniens prétendaient à la jouissance de ce revenu que l’usage général de la chrétienté réservait à l’église; ils disaient, pour argument, qu’ils « avaient arraché le territoire des mains des païens, » et « qu’ils payaient les soldats sans lesquels ceux qui professent la religion du Christ ne pourraient être en sûreté. » Les évêques brandebourgeois durent transiger; ils réservèrent leurs droits sur la dîme, mais ils en abandonnèrent la jouissance aux margraves de la famille ascanienne en leur qualité de conquérans du pays. Cette sorte de traité est la seule pièce où se trouve énoncée d’une façon précise la raison de tous les privilèges qui donnaient au pouvoir du margrave un caractère exceptionnel. Quant à lui, sa prétention est très nette : sans lui et sans les soldats qu’il commande et qu’il paie, dit-il, il n’y aurait pas d’église; il sait qu’il est le personnage nécessaire de qui tout le reste tire l’existence.

Entre le margrave d’une part, ses vassaux et ses sujets de l’autre, l’intermédiaire était l’avoué, qui représentait le mai-grave dans sa circonscription, comme le comte représentait le roi dans son comté; mais le margrave sut prendre contre son délégué les précautions nécessaires : non content de ne nommer jamais d’avoué à titre héréditaire, il ne voulut même pas que la fonction fût viagère. Il n’est pas rare de trouver dans les documens mention d’avoués qui ont été transférés d’une circonscription dans une autre, et l’on rencontre des noms à côté desquels figure la mention d’ancien avoué, quondam advocatus, comme on dirait d’un fonctionnaire moderne.

Des paysans, des bourgeois, des vassaux, établis par les margraves