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elles sont lointaines, et quelle suite d’efforts il a fallu pour fonder l’état où l’Allemagne est presque absorbée aujourd’hui.


I.

Ces origines, qui n’ont guère intéressé jusqu’ici que quelques érudits, ou bien des sociétés savantes de Berlin et de Kœnigsberg, méritent la tardive curiosité qu’elles éveillent. Elles ne ressemblent pas aux origines de la plupart des états de l’Europe; quel contraste, par exemple, avec celles de la France! La France était prédestinée : je veux dire que le pays compris entre l’Océan, les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes et le Rhin était fait pour recevoir une nation. Si haut que l’on remonte dans l’histoire, on y trouve une vie nationale : les Gaulois étaient un peuple distinct de ses voisins; quand les Romains conquirent la Gaule, ils en formèrent une circonscription administrative spéciale, et respectèrent son intégrité; c’est sur la Gaule entière que prétendirent régner les Mérovingiens et les Carlovingiens ; ce sont enfin les frontières de la Gaule que les Capétiens s’efforcèrent d’atteindre dès qu’ils purent sortir de l’Ile-de-France. Où trouver un cadre naturel à la monarchie prussienne? Il n’y a pas longtemps qu’elle s’étendait, comme une chaîne à plusieurs endroits brisée, du Niémen au Rhin. Aussi les mots qu’emploie d’ordinaire en France la langue de l’histoire et de la politique ne peuvent-ils servir pour parler de la Prusse : il n’y a pas de nationalité prussienne, il y a un état prussien; le terme n’est pas encore exact, car la Prusse n’est qu’un des anneaux de la chaîne. Faute de les pouvoir nommer tous dans un titre commun, on dit d’ordinaire état brandebourgeois-prussien.

La marche de Brandebourg et le duché de Prusse sont en effet les deux parties principales de la monarchie prussienne. Elles n’ont été réunies qu’au XVIIe siècle; mais leur histoire a plus d’un point de ressemblance, car le Brandebourg est un pays slave dont la conquête a été faite aux XIIe et XIIIe siècles par des margraves allemands de la maison ascanienne, et la Prusse est un pays slave, conquis au XIIe siècle par l’ordre allemand des chevaliers teutoniques. Héritiers des margraves et des chevaliers, les Hohenzollern doivent beaucoup aux uns et aux autres, mais surtout aux margraves. C’est comme ducs de Prusse qu’ils sont devenus rois, mais c’est comme électeurs de Brandebourg qu’ils ont grandi au milieu du corps germanique et qu’ils en sont devenus les maîtres; enfin c’est dans la Marche qu’ils ont trouvé la tradition de cette autorité singulière, à la fois militaire et patriarcale, qu’ils ont étendue ensuite sur les divers pays soumis à leur domination, et qui en a été le lien solide.