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des désabusés; l’achèvement de l’unité italienne ne le consolait que bien imparfaitement à coup sûr de la profonde atteinte que la calamité de Sadowa avait portée à son propre pays. Son désenchantement fut grand; mais il n’est rien de tel qu’une forte et douloureuse déception pour aiguiser et affiner un esprit naturellement sagace, et si Pascal a parlé d’une seconde ignorance, celle qui vient après le savoir, il y a aussi pour certains diplomates une seconde science et comme une seconde vue après quelque éblouissement passager. On ne saurait trop reconnaître les qualités éminentes d’observation et de jugement que montra M. Benedetti durant les quatre dernières années de son ambassade à Berlin, et, pour cette époque de 1867 à 1870, l’histoire confirmera pleinement le témoignage qu’il crut un jour utile de s’accorder à lui-même en protestant devant son chef[1] d’avoir été pendant sa mission en Prusse « un informateur actif, correct, prévoyant. »

A partir de 1867 en effet, l’ambassadeur mit un zèle patriotique à éclairer son gouvernement sur l’état des choses en Europe et à lui recommander de prendre une résolution virile, soit en se résignant franchement à l’inévitable, soit en se préparant de bonne heure à une lutte très prochaine et pleine de périls immenses. Il lui représentait la Prusse travaillant sans relâche à englober l’Allemagne entière, au risque de provoquer un conflit avec la France, n’inclinant même que trop souvent à considérer un tel conflit comme le moyen le plus sûr et le plus direct d’arriver à ses fins. En pareille éventualité, il se gardait bien de fonder le moindre espoir sur les particularistes du midi. « Au début d’une guerre nationale, disait-il, les plus obstinés parmi ceux-ci ne pourront que s’effacer devant les masses qui regarderont la lutte, quelles que soient les circonstances au milieu desquelles elle éclaterait, comme une guerre d’agression de la France contre leur patrie, et si le sort des armes leur était favorable, leurs exigences ne connaîtraient plus de limites. » Il signalait aussi « la propagande la plus active » que M. de Bismarck entretenait dans les pays au-delà du Mein : «à l’exception de quelques journaux à la solde des gouvernemens (de Munich et de Stuttgart) ou appartenant au parti ultra-radical, la presse le seconde dans tous les états du sud. » Il mandait également à Paris que le ministre de Guillaume Ier continuait ses relations avec le parti révolutionnaire en Italie, qu’il recevait des agens de Garibaldi, et qu’il n’est pas jusqu’au gouvernement régulier du roi Victor-Emmanuel, l’ami et l’obligé personnel de l’empereur Napoléon III, qui, lors des complications de Mentana, n’ait sondé la Prusse pour savoir « dans quelle mesure elle pourrait lui prêter son assistance[2]. »

  1. Lettre particulière à M. le comte Daru, 27 janvier 1870.
  2. Voyez à ce sujet la curieuse dépêche du 10 novembre 1867. La correspondance de Mazzini avec M. de Bismarck pendant les années 1868 et 1869, suggérant le plan de renverser Victor-Emmanuel si ce dernier se faisait l’allié de l’empereur Napoléon III, n’a été révélée que plus tard et tout dernièrement, après la mort du célèbre agitateur italien.