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de Sadowa n’envierait pas à la France cette satisfaction mesquine du Luxembourg, qu’il trouverait même habile de a désintéresser » l’empereur Napoléon III à si bon marché, que, pour parler avec le poète, « le lion ne ferait que bâiller devant un morceau tellement petit. » Le lion rugit cependant, secoua sa crinière avec fureur et signifia durement que c’en était fait à jamais de toute politique de pourboire ; mais cela même ne fit que confirmer M. Benedetti dans l’opinion qu’on s’était pourvu ailleurs, et qu’on était désormais à l’abri de toute inquiétude. Il jugea avec raison que M. de Bismarck devait être bien sûr de l’appui, en tout état de cause, de son ancien collègue de Francfort, pour refuser à la France jusqu’à cette modique aubaine et lui donner à ce point « la mesure de son ingratitude. »

En même temps que l’affaire du Luxembourg, les événemens de Crète vinrent démontrer à leur tour aux cabinets de Vienne et des Tuileries combien le prince Gortchakof était déjà de son côté engagé envers M. de Bismarck, combien résolu aussi à sacrifier à son intimité avec la Prusse les perspectives même les plus brillantes. Pour quiconque relit attentivement le curieux échange de notes auquel avaient donné lieu les troubles de Crète, il devient évident que, durant toute l’époque du mois de novembre 1866 au mois de mars 1867, les deux gouvernemens d’Autriche et de France avaient cherché à sonder les dispositions de la cour de Saint-Pétersbourg et à lui faire des avances à coup sûr bien significatives. Le soulèvement des Candiotes, on se le rappelle, vint, dans l’automne de 1866, surprendre et émouvoir l’Europe à peine remise de la secousse violente de Sadowa. Démesurément grossie par les nouvellistes plus ou moins intéressés, l’insurrection, après avoir excité de vives sympathies en Russie, finit par occuper sérieusement les chancelleries et sembla un moment destinée à évoquer devant les cabinets toute la question d’Orient dans son effrayant ensemble. Certains cabinets même ne parurent pas trop s’effrayer de l’éventualité : au lieu de se conformer aux traditions constantes de la diplomatie dans les affaires ottomanes, au lieu d’assoupir l’incident et d’en diminuer autant que possible les proportions et la portée, M. de Moustier pensa qu’il fallait « trouver un moyen de pacifier l’Orient, » et s’avisa de « provoquer une sorte de consultation de médecins afin de connaître l’opinion de chacun sur le remède à apporter au mal[1]. » Bien plus étonnant encore fut le langage tenu par le gouvernement de Vienne, par la puissance qui jusqu’alors et de tout temps s’était contentée de soutenir la Turquie per fas et nefas,

  1. Dépêche du comte de Mülinen au baron de Beust, 30 décembre 1866.