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un défaut, c’est un défaut rare et qui doit être aisément pardonné.

Pour peindre dans ce travail l’homme politique, je n’ai eu qu’à rassembler les divers actes de sa vie et quelques fragmens de ses écrits. J’ai pu ainsi montrer en M. de Rémusat un excellent citoyen, un patriote sincère, un vrai libéral, ennemi de tous les excès et de toutes les bassesses, noblement conséquent dans sa conduite et prêt à tout subir plutôt que de se courber un instant devant la force. Qu’on le suive depuis le premier jusqu’au dernier acte de sa vie; qu’on le voie dénonçant publiquement en 1830 le coup d’état de Charles X et résistant en 1851 à l’usurpation plus coupable encore de Napoléon Bonaparte; qu’on l’entende flétrissant les folies de la restauration et les hontes de l’empire, et qu’on dise s’il y a un ami de la liberté qui ait plus de droits que lui à la reconnaissance publique. Aujourd’hui, il est vrai, par une étrange interversion des rôles, c’est la révolution de 1830, c’est la résistance à l’empire, qui sont qualifiées de criminelles par ceux qui désirent le retour d’un passé absurde ou odieux; mais la France sait à quoi s’en tenir. M. de Rémusat d’ailleurs était bien loin de prétendre que ses amis et lui-même fussent exempts de toute faute. Il reprochait aux hommes de 1830 de ne s’être pas assez préoccupés des classes ouvrières, et quand en 1848 chaque jour voyait éclore quelque panacée qui, disait-on, pouvait guérir tous les maux de la société, il se demandait si, au milieu de tant d’extravagances, on ne pouvait pas découvrir quelque chose de sérieux et d’utile; mais ce qu’il détestait par-dessus tout, ce qu’il a poursuivi de ses sarcasmes sous tous les gouvernemens, ce sont ces courtisans de la force qui désertent leur cause dès qu’ils la croient vaincue pour se rattacher à la cause victorieuse. Aussi tolérant en politique qu’en philosophie, il honorait dans ses adversaires toute conviction sincère et désintéressée; il méprisait profondément, même chez ses compagnons d’armes, toute opinion et toute conduite fondées sur le calcul. J’ai, dans le cours de cet écrit, cité plusieurs morceaux où ce sentiment éclate avec une grande vivacité, et j’aurais pu en citer beaucoup d’autres. C’est que pour lui la question d’honnêteté était la première de toutes, et que ce mot si souvent répété le lendemain des révolutions : «puisqu’il y a un gouvernement établi, il vaut mieux qu’il soit servi par nous que par nos adversaires, » lui paraissait un des mots les plus corrupteurs de la morale publique.

Assurément M. de Rémusat ne dédaignait pas le succès; mais il ne croyait pas qu’il fût permis de l’obtenir à tout prix, en foulant aux pieds les lois de la morale et de la justice. Ce principe, il l’appliquait à l’histoire aussi bien qu’à la politique du jour. Qu’on lise l’étude sur Richelieu qu’il a publiée dans la seconde édition de Passé et présent, et l’on verra que, sans contester le moins du