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suprême ; tout ce que l’on peut dire, c’est qu’après de graves entretiens qu’on lui avait offerts et qu’il avait lui-même provoqués, il est mort avec les convictions spiritualistes qui avaient été celles de toute sa vie.

M. de Rémusat a eu le rare privilège de marquer dans ce siècle à trois titres différens : comme philosophe, comme écrivain, comme homme politique, et toujours il a su conserver son caractère propre. Philosophe, il n’avait aucun parti-pris, sauf sur quelques points où sa conviction était inébranlable, et quand une philosophie nouvelle apparaissait, il se plaisait à l’étudier non-seulement avec impartialité, mais encore avec le désir sincère d’y trouver quelque part de vérité. « Un trait de caractère, a dit avant moi M. Paul Janet, distinguait très particulièrement M. de Rémusat parmi les autres disciples de M. Cousin; il n’était pas parmi les satisfaits. Il faisait des réserves, il insinuait des objections. Comme Socrate, tout en restant fidèle aux grands principes de l’idéalisme spiritualiste, il aimait à montrer que ce que l’on sait le mieux, c’est qu’on ne sait rien. » Plus que personne, il haïssait le scepticisme; bien loin de s’y complaire, il lui était impossible de s’y résigner. Le besoin de la certitude, aiguillonné par l’esprit critique, était chez lui une passion. En métaphysique comme en morale, en psychologie comme en politique, il croyait fermement à la puissance de la raison humaine; il avait foi dans la vérité et ne désespérait jamais de l’atteindre ou de s’en rapprocher. Il avait horreur des conclusions décourageantes de cette philosophie terre à terre qui ne voit rien en dehors de l’expérience, qui n’admet rien en dehors des faits tangibles, et qui ferme systématiquement l’accès de la science à tout ce qui n’est pas susceptible de poids et de mesure. Il étouffait dans l’horizon étroit du positivisme moderne. Sans dédaigner le témoignage des sens, il avait le goût des hautes spéculations métaphysiques, il croyait à leur utilité, à l’efficacité de leur méthode, à la solidité de leurs résultats; mais en même temps il n’était pas de ces esprits faibles qui aiment à se faire illusion. Courageux avec lui-même autant que sincère avec les autres, il n’était pas homme à chercher un repos factice dans un aveuglement volontaire. Il avait au suprême degré cette droiture intellectuelle qui consiste à envisager loyalement ses propres doutes et à remettre en discussion, chaque fois qu’il le faut, les raisons de ce qu’on pense. Bien loin de se dissimuler les obscurités, les difficultés de sa croyance, il les examinait, il les pesait sans relâche, en les comparant aux imperfections des autres systèmes. Il apportait à ce perpétuel examen de conscience la secrète ardeur d’un esprit aussi avide de vérité que difficile à satisfaire et incapable de se tromper lui-même.

Telle était sa méthode préférée dans l’étude des problèmes qui