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« qu’il manquerait de respect à la France s’il croyait à la nécessité de défendre la plus juste des révolutions. »

Après avoir justifié 89 et 1830 des reproches que la prévention ou la mauvaise foi adresse à ces deux grandes époques, M. de Rémusat se demandait en quoi consiste pour une nation la liberté politique, distincte de la liberté civile, et il arrivait à cette conclusion, que cette liberté, c’est le gouvernement parlementaire sous la forme de la monarchie ou de la république. Parce que ce gouvernement a péri en France, faut-il en conclure qu’il y soit impossible? Assurément non. « La monarchie féodale, l’ancien régime, la république violente, la république modérée, la monarchie administrative, absolue, constitutionnelle, des gouvernemens guerriers, des gouvernemens pacifiques, tout a péri, et rien de nouveau ne reste à essayer. Si l’on invoque l’expérience contre nous, nous l’invoquerons contre tous. » Mais M. de Rémusat était trop sincère pour ne pas reconnaître qu’il n’est pas toujours aisé de concilier la liberté civile avec la liberté politique et que soumettre le citoyen à l’état tout en protégeant le citoyen contre l’état est un problème dont la solution est difficile. Il ne le croyait pas insoluble, pourvu que les droits individuels fussent nettement déterminés, et qu’il y eût des contre-poids dans le pouvoir. C’est à démontrer ces droits et à décrire ces contre-poids qu’il consacrait en grande partie le fragment qui terminait le volume.

Publié en plein empire, cet écrit, hardie revendication des libertés perdues, acheva de placer M. de Rémusat à la tête des écrivains politiques de son époque; mais le moment approchait où toutes les satisfactions de l’amour-propre devaient s’évanouir pour lui devant le plus affreux des malheurs. Jusqu’à ce jour, sa vie avait été heureuse. Il avait deux fils qui répondaient à toutes ses espérances et l’aîné, jeune homme du caractère le plus sûr, avait épousé récemment une jeune femme, d’une fermeté d’âme égale à la sienne, et qui s’était attachée par les liens les plus tendres à ses nouveaux parens. M. de Rémusat vivait donc dans sa famille, entouré du respect et de l’affection de tous les siens, et tout lui promettait une vieillesse tranquille, quand un jour, le 13 janvier 1862, il reçut à Laffite, pendant la nuit, la terrible nouvelle que son fils aîné venait de faire, presque à sa porte, une chute de cheval et qu’il était mourant. Quelques heures après, l’infortuné jeune homme cessait de vivre, laissant sa veuve et ses parens dans le plus profond désespoir. On peut juger de l’affliction de M. de Rémusat et de l’horreur du long voyage qu’il dut faire pour venir associer ses pleurs à ceux de sa famille. Peu d’années auparavant, racontant la mort du fils de Burke, M. de Rémusat, par une sorte de pressentiment, remarquait avec tristesse que le sentiment ou l’événement qui a