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en Angleterre ministre de la reine Anne et de la succession protestante, est mis hors la loi par le parlement comme coupable de haute trahison, puis gracié sans pouvoir reprendre son rang, et passe la fin de sa vie à nouer et à dénouer des combinaisons dont il ne peut pas profiter. Il fallait avoir vécu, comme M. de Rémusat, dans les assemblées politiques pour débrouiller les fils de tant d’intrigues, pour se reconnaître au milieu de ce mélange de convictions et de passions, d’ambitions légitimes et d’intérêts personnels, de rapprochemens sincères et de coalitions sans moralité; il fallait la justesse de son coup d’œil et la finesse de son pinceau pour faire au naturel le portrait de tant de personnages divers, en marquant chacun d’eux d’un de ces traits qui ne s’effacent pas de la mémoire.

Tous ceux qui ont lu le livre de M. de Rémusat, en Angleterre comme en France, savent s’il a réussi. À cette belle étude, il en a joint plusieurs autres sur Horace Walpole, amateur en politique comme en littérature, et dont la correspondance continuée sans interruption pendant quarante-cinq ans est, ainsi que le dit M. de Rémusat, « la peinture familière de l’Angleterre pendant un demi-siècle, » sur Junius, le hardi pamphlétaire dont le vrai nom est encore inconnu, enfin sur Burke et Fox, qui tous deux ont joué un si grand rôle à la fin du XVIIIe siècle, le premier, au début de la vie, un des soutiens les plus résolus du gouvernement parlementaire contre le parti dit des amis du roi, usant indifféremment de la tribune et de la presse pour flétrir la corruption, et poursuivant Warren Hastings dans l’Inde comme il poursuivait à Londres les ministres serviteurs dociles de George III; le second désordonné dans la vie privée, mais d’une loyauté à toute épreuve, généreux, désintéressé, dévoué à la cause de la liberté et dont l’éloquence n’a point été surpassée. Longtemps ces deux hommes avaient été unis non-seulement par la communauté d’opinions, mais par la plus tendre amitié. Un jour vint où la révolution française fit naître entre eux un dissentiment insurmontable, et M. de Rémusat raconte avec une émotion touchante la scène si dramatique où les deux amis se séparèrent publiquement, Burke dur et implacable, Fox navré et les larmes aux yeux. Ce jour-là, Fox prenait le parti de la France, et M. de Rémusat lui en sait gré. Il reconnaît pourtant que le mal signalé par Burke était réel; « mais, dit-il, Burke avait le tort de voir le mal sans voir le bien, et d’ouvrir son âme à toutes les passions, à toutes les chimères qui ne vont qu’aux proscrits. » En restant fidèle à la cause de la liberté malgré ses excès, Fox au contraire se montra digne de la renommée qui lui a survécu et qui le place au premier rang parmi les réformateurs de l’Angleterre.

En lisant la vie de Bolingbroke, on voit passer devant ses yeux les événemens et les hommes remarquables de la première moitié du